Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).


Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



lundi 18 juillet 2011

Le peintre de Napoleon à Bruxelles

Autoportrait de David

Paris, 20 prairial An II (8 juin 1794).

« Place au commissaire de la Convention ! »
Organisateur de la fête de l’Etre suprême, Jacques Louis David, peintre du     « Serment des Horaces » et ami de Robespierre, dirigeait la marche du somptueux cortège.  Il s’agitait beaucoup, veillait à tout et s’annonçait lui-même.  Il réglait le défilé des corporations « en agitant son chapeau surmonté d’un grand panache tricolore ».   

Dans cette cérémonie, Robespierre marchait seul devant la Convention.  A pas mesurés, la tête découverte, les yeux regardant le sol.  L’Incorruptible était morne et inquiet.  Quelqu’un avait osé lui dire  « j’aime ta fête, mais je te hais ».

Six  semaines plus tard, Robespierre était guillotiné.

A la Convention, certains enragés regrettaient que Jacques Louis David, robespierriste idolâtre, eût échappé à l’échafaud de son ami.  Son Absence opportune, le 9 thermidor, à la Convention, l’avait sauvé.  Prévenu par  Barrère « Ne vient pas, tu n’es pas un homme politique », il s’était fait porter « pâle » ce jour-là.  Le 13 thermidor, sommé d’expliquer son soutien à l’Incorruptible, David monta à la tribune.  Devant le nombre et la violence des attaques dirigées contre lui, le pauvre homme angoissé, le visage livide, en sueur, se défendait mal.  Une difficulté de prononciation  naturelle, augmentée encore d’une exostose qu’il avait à la mâchoire supérieure, rendait sa parole difficile.  Tels des hyènes, ses ennemis, le harcelaient jusque dans les derniers retranchements.  Et sans le boucher Legendre, seul contre tous, il était perdu.  Exclu de la Convention ce jour-là, il fut arrêté quelques jours plus tard.

David était pourtant tout l’opposé d’un fanatique.  Brave homme, ordonné, laborieux et peu bavard, il n’avait rien d’un monstre sanguinaire.  Son imaginaire rempli d’histoires et d’usages antiques, l’entraîna, comme la plupart de ses contemporains éclairés, dans la tourmente révolutionnaire de 1789, où il se perdit.
Une fois dans l’ouragan, il s’y débattit comme les autres.  Membre de la Convention, il ne peignait plus.  Les séances de la Convention accaparaient tout son temps.  Comme beaucoup d’autres, il avait adopté le vocabulaire et les geste politiques du moment. 

La mort de Marat

Ainsi, un jour que son ami Marat était pris à parti par le député Pétion : « le moment est venu de chasser de cette enceinte ces…scélérats ...qui...nous menacent…du poignard des assassins !...- c’est vous ! s’écria Marat, c’est vous qui êtes des assassins ! ».  S’élançant alors, au milieu de la salle en furie et prenant la défense de l’ami du peuple, David s’écria : « Je demande que vous m’assassiniez…je suis un homme vertueux…la liberté triomphera… » ; et Pétion de répondre : « Qu’est-ce que prouve l’action de David ?  Rien, si ce n’est le dévouement d’un honnête homme en délire, trompé par des scélérats…Tu t’en apercevras, David ! – Jamais ! » répondit le peintre.  Il persista.   Il était fidèle en amitié.  Aussi, le 8 thermidor An II, pour avoir refusé de livrer à la Convention, les noms des membres soupçonnés de trahison, Robespierre fut mis en difficulté par les députés.  L’Incorruptible s’écria « S’il faut succomber, eh bien ! mes amis, vous me verrez boire la ciguë avec calme ».  Présent à la séance, David, « à l’imitation des Grecs et des Romains», vint à son aide en déclarant « Si tu bois la ciguë, je la boirai avec toi ! ».  

Pour imiter Brutus, David, le républicain a voté la mort du Tyran, de Louis XVI.  Les moments historiques l’exaltaient.  Dès lors, lui, le grand peintre  s’abaissa à dessiner des satires qui ne firent rire personne.  Lui, le magnifique artiste, préconisa la destruction des effigies royales. « …Je demande la destruction des bustes de Louis XIV et de Louis XV… ».  Il dota Paris d’une monstrueuse caricature de l’Hercule Farnèse, représentant le Peuple debout - huit mètres de haut - portant en gros caractères sur son front le mot Lumière, sur sa poitrine Nature, Vérité sur ses bras Force, Courage,et dominant d’énormes crapauds vautrés sur les débris des statues de Louis XIV et de Louis XV. 

Tout cela n’avait vraiment plus rien à voir avec son génie.

Le Serment des Horaces

Après Thermidor, David, sentit l’erreur qu’il avait commise.  Abandonner l’art pour une illusion.  Quand elle avait vu s’enfoncer dans la révolution, cet homme qu’elle adorait, sa femme l’avait quitté.  Elle emmena ses deux filles, laissant les deux garçons à la garde de leur père.  Elle réapparut quand David, arrêté comme robespierriste, subit la prison.  Libéré, bien résolu à ne plus se mêler de politique, le grand peintre revint à ses élèves et à son atelier du Louvre.  

« …le temps et les événements m’ont appris que ma place est dans mon atelier… »

Buste de David par Rude

Naufragé de la terreur, on se représentait David comme un jacobin impénitent, brutal et grossier.  Pourtant, il était d’une tenue parfaite et d’une politesse raffinée, plein de bonhomie et de bienveillance.  Conséquence d’une blessure d’épée, une tumeur  déformait sa lèvre supérieure. Cette déformation le faisait surnommer par ses ennemis « la grosse joue ».  Seule, une petite cocarde tricolore au chapeau rappelait son passé révolutionnaire.  Il était toujours vêtu avec recherche.  Peut-être y avait-il dans cette élégance la volonté de faire oublier les souvenirs embarrassants de l’An II.  Il s’y appliquait avec conscience.  Dans son atelier, le mot citoyen était banni du vocabulaire, c’était Monsieur David.  «…sous son habit de soie, il était impossible de retrouver le républicain… »

Le culte enthousiaste qu’il voua à Bonaparte explique, s’il ne l’excuse, son engouement  pour Robespierre : « emballements » d’un grand artiste irrésistiblement séduit par tous les mirages. 

« Bonaparte est mon héros…c’est un homme auquel on aurait élevé des autels dans l’antiquité… »

Toujours l’Antiquité.

Bonaparte

La scène où le général Bonaparte pénètre pour la première fois, pressé et impatient, dans l’atelier du Louvre, est théâtrale.  Les élèves et les professeurs lui firent une haie d’honneur.  Trois heures de pause pour un portrait célèbre resté inachevé.  Une autre fois, le Premier Consul, désinvolte, sollicité de poser à nouveau, envoie simplement son chapeau, sa redingote, ses bottes et son épée.  Voilà David peintre officiel de l’empereur, dirigeant le tableau du couronnement.  Il a peint le pape aux Tuileries.  L’ex-ordonnateur de la fête de l’Etre suprême fut admis chez le Souverain Pontife.  On l’avait averti qu’on ne pénétrait chez le Pape qu’en se prosternant.  C’est à genoux qu’il devait faire le portrait de Sa Sainteté.   Mais Pie VII le dispensa de cette contrainte.  Après avoir reçu la bénédiction du Saint-Père, David sortit de son audience aussi enthousiasmé du Pape, qu’il avait été, jadis, de Robespierre. 

Pie VII
Le Sacre

Et puis sa nouvelle idole, Napoléon s’écroula, et les Bourbons reparurent.  Les régicides furent exilés.  Quoique Louis XVIII eût volontiers consenti une exception en faveur de David.  Celui-ci se refusa à la solliciter.  A la manière des anciens, sans une plainte, sans récrimination, devançant l’arrêt de bannissement, il partit pour Bruxelles.  Il s’y fixa, le 27 janvier 1816, au numéro 7 de la rue Léopold.  

Dès le lendemain de son départ, l’école et les principes de David furent renversés par de nouveaux peintres français.

Mais la célébrité de David restait non seulement intacte mais son malheur la rendit plus grande encore à l’étranger.  Le roi de Prusse lui offrit la direction des arts dans son royaume.  Il refusa.  A Bruxelles,  il exerça pour la première fois sa peinture avec indépendance et agrément.  On lui commanda des toiles, il fit des portraits.  Influencé par la peinture flamande et hollandaise, son art s’aventura dans une voie nouvelle.

Théâtre de la monnaie

Les étrangers importants qui s’arrêtaient à Bruxelles ne manquaient pas d’aller rendre hommage au peintre de Napoléon.  Le roi des Pays-Bas, Guillaume d’Orange, se sentait fier d’avoir chez lui, le grand David.  Souvent, il lui rendait visite.  Entouré de Sieyès, Barrère et Alquier, autres régicides bannis et de ses anciens élèves, dont le peintre Navez,  David supportait avec constance son exil. 
Personnage en vue, les gens se rendaient au théâtre pour le voir.  Presque tous les soirs, David assistait aux représentations du théâtre de la Monnaie.  A l’orchestre, il occupait toujours le même fauteuil.  Lorsqu’il était absent, ce siège était respecté.  Si quelque étranger s’y asseyait, les voisins lui disaient : « c’est la place de David ».
Lorsque la pièce jouée faisait allusion ou au talent ou à l’infortune d’un artiste, le public applaudissait la scène en hommage à David.

Il était aimé.

Un soir, pendant l’entracte, un Anglais parvint à l’approcher.  L’étranger témoigna au peintre, le bonheur qu’il ressentait de se trouver près d’un si grand homme et d’avoir pu lui serrer la main.  David dit à l’Anglais : « Vous êtes donc un amateur bien passionné des arts, monsieur, que vous veuillez les honorer ainsi en témoignant une admiration si grande pour ceux qui les cultivent ?Moi, monsieur, point du tout, dit l’étranger, je voulais voir les traits et toucher la main de l’homme qui a été l’ami de Robespierre. »
L’incroyable admiration des radicaux de tous les pays pour Robespierre, pour Marat et d’autres hommes de la révolution, fit qu’il se fut trouvé, à Bruxelles, un Anglais assez original pour féliciter sincèrement David de ses anciennes amitiés de 1793.

L’exil du grand peintre se changeait en triomphe

Mars et Vénus
Amour et Psyché

Il avait septante-six ans lorsqu’il acheva  « Mars et Venus ».  Le tableau produisit un grand effet auprès du public et des artistes.  Le droit d’entrée demandé à ceux qui venaient le voir fut affecté à l’assistance des vieillards des hospices de Sainte-Gertrude et des Urselines.  Il agit de même à Gand, à l’occasion d’une exposition de ses œuvres.  Fraternel, David fut un habitué du geste.  Lorsqu’il était membre de la Convention, ses tableaux  du « Serment des Horaces » et de « Brutus » ne lui avaient pas encore été payé.  Il se montra désintéressé, comme l’étaient la plupart des hommes de son parti.  A la tribune, il déclara : « Si la Nation croit me devoir quelque indemnité, je demande que cet argent soit consacré au soulagement des veuves et des enfants de ceux qui meurent pour la défense de la liberté.»

Sa santé déclina, sa main devint lourde, il ne peignit plus. « ma main s’y refuse »
Pendant l’été de 1825, il tomba malade au point que l’on craignit pour ses jours.  La paralysie atteignit sa femme.  Leurs enfants, qui vivaient Paris, vinrent à Bruxelles.  David se rétablit à l’automne, il recommença à peindre avec énergie.  En décembre une rechute lui enleva tout espoir de guérison.  Il arrêta définitivement la peinture.

Néanmoins, malgré les douleurs, il parvint encore à rassembler tout son courage pour corriger une épreuve de son « Léonidas aux Thermopyles ».  Alité, il fit placer la gravure devant lui, demanda sa canne.  Avec elle, il indiquait les diverses corrections qu’il désirait voir : « trop noir…trop clair…la dégradation de la lumière n’est pas assez exprimée…cet endroit paillote…cependant…c’est bien là une tête de Léonidas… » disait-il ne pouvant presque plus se faire entendre.  Bientôt sa voix s’éteignit entièrement, sa main lâcha la canne et il rendit le dernier soupir.  C’était le 29 décembre 1825, à dix heures du matin.

Sainte-Gudule

Le 5 janvier, on exposa son corps embaumé.  Le 7, en grand cortège funèbre, on le conduisit au cimetière de l’église Sainte-Gudule.  Les élèves de l’académie royale de peinture et de sculpture portaient des couronnes de laurier et des palmes.  Les élèves du peintre Stapleaux et du sculpteur Rude portaient des bannières sur lesquelles s’inscrivaient les titres de ses principales œuvres.  La musique militaire jouait des marches funèbres.  Le char portant son cercueil était traîné par six chevaux noirs conduits par six laquais habillés de noir.  Ses amis, des artistes portant des flambeaux ou des couronnes, et d’une foule d’anonymes complétèrent le cortège.


La France refusa de recevoir le corps de David.  On l’enterra alors au cimetière de Bruxelles.  De nos jours, on peut encore y voir sa tombe, au rond point des Bourgmestres.  Un carré au centre duquel s’élève une obélisque gravée de ces mots : « A Jacques Louis David restaurateur de l’école moderne de peinture en France ».  Sa femme, Charlotte mourut quelques mois  après, le 26 mai 1826.  Elle repose à Paris, au cimetière du père Lachaise, avec à ses côtés, le cœur de David ramené à Paris par son fils.  

 

"Mon art est tout en action"

Jacques Louis David.


mercredi 13 juillet 2011

Le faux soir

Proche de l’église du Sablon, la rue de Ruysbroeck.

Cette rue, en pente forte est l’une des plus anciennes de Bruxelles.  Au numéro 35, l’école préparatoire Dachsbeck, sur sa façade est accrochée une plaque commémorative.  Elle se souvient qu’à cet endroit en 1943, fut imprimé par la résistance le « Faux-Soir », journal clandestin.  Une affaire qui fit grand bruit à l’époque.

Un Anglais disait au même moment, « l’Angleterre et la Belgique sont deux grands pays au point de vue journalistique, nous avons inventé le journal, vous avez inventé le journal clandestin. »

Pendant la première guerre mondiale, pour combattre la censure militaire allemande, des journaux clandestins virent le jour dans la Belgique occupée.  Naquirent ainsi,     « LA LIBRE BELGIQUE », « FLAMBEAU »,  «REVUE DE LA PRESSE LIBRE », « DE VLAAMSCHE LEEUW ».  Des Belges avaient inventé la presse clandestine.  Une forme de résistance qui devait être étendue au monde entier. 

L’occupant germanique de 1914 était brutal sans plus.  En 1940, le visage de l’Allemagne avait radicalement changé.  Le Nazisme régnait sans partage sur ce pays.  Construit sur les décombres de la grande guerre et sur les ruines du krach boursier de 1929, il avait balayé toutes les vieilles institutions.  Il imposa, d’abord chez lui, ensuite à l’Europe de nouvelles idées et une nouvelle guerre.  En juin 1940, après leur victoire militaire, les Nazis recherchèrent une reddition civile, une capitulation de la pensée humaine. 

Les services de propagande du vainqueur se chargèrent de la soumission des populations.  La presse écrite des pays occupés devint pro-allemande, la Radio suivit et le cinéma les accompagna.  Pour défendre l’indépendance du pays et garder son identité, certains choisirent de résister.  Spontanément, dès 1940, bravant les interdictions, les journaux clandestins réapparurent.  Souvent initiatives privées, ils réagissaient contre l’esprit d’apathie de la population et le manque d’informations.  Les écrits de cette presse résistante essayaient de dégager une espérance et une confiance dans l’avenir.  Au grand étonnement des Anglais et des Américains, autonome, la presse clandestine belge se développa et s’organisa très rapidement.  Plus tard, cette presse publiera des numéros, en allemand, destinés à démoraliser l’ennemi.  « DAS FREIE WORT », « MEHR LICHT » , deux feuilles distribuées dans l’armée allemande.  Toujours plus dynamiques, les organes clandestins du pays publieront aussi en hongrois, en esperanto et dans d’autres langues. 

Au commencement, les faibles moyens de la résistance écrite atteignirent peu la population.  Toutes les tendances politiques et philosophiques y étaient représentées. Parurent alors : « LA LIBRE BELGIQUE », « LIBERATOR » à L’U.L.B, « CHURCHILL-GAZETTE », « DE VRIJSCHUTTER », « HET VRIJE WOORD », parmi des centaines d’autres titres.  « LE DRAPEAU ROUGE », publia son premier numéro clandestin en juin 1940.  Le futur premier ministre belge, Achille Van Acker collaborait activement à l’une de ces feuilles : le « MORGENROOD ». 

Petites ou grandes, ces publications formaient un bloc.  Le mérite était égal, le risque aussi et les condamnations les mêmes pour tous.  L’arrêt brusque de la parution d’une publication clandestine correspondait bien souvent à un drame atroce et douloureux. Une publication intitulée « RESISTER » ne publia que deux numéros.  Le héros est demeuré inconnu.
Certaines de ces publications comportaient seize pages et tiraient à trente mille exemplaires.  Le « Faux-Soir » imprima à cinquante mille.

Certains de ces journaux clandestins étaient l’œuvre d’une seule personne.   Il était à la fois le rédacteur, l’imprimeur et le diffuseur de son « clandestin ».   Il s’attelait à toutes les besognes. Il tirait à quelques dizaines, voire quelques centaines de feuilles.  Si son entreprise clandestine connaissait le succès, il s’adjoignait des collaborateurs et petit à petit les tâches se partageaient.  Le tirage montait à ce moment-là à mille ou deux mille exemplaires. Des distributeurs étaient recrutés.  Le succès se confirmant, on gagnait un imprimeur à sa cause, bien souvent un artisan. Le tirage passait alors à cinq mille, voire dix mille exemplaires.  Certains imprimeurs composaient le numéro clandestin la nuit, le jour, ils imprimaient des journaux collaborationnistes.  Les dangers de l’imprimeur étaient multiples : le bruit de la machine, les plombs qui ne pouvaient être évacués ou dissimulés facilement, le format et la qualité de la feuille de papier employés pour imprimer le « clandestin », les caractères.  Chaque caractère a un défaut, facile à détecter pour un œil averti.  L’imprimeur avait la tâche la plus ingrate.  Le sort de la publication dépendait de lui.

Et puis il y avait  les courriers, les agents chargés du transport du papier, le fournisseur du papier et le caissier.  Le caissier, autre personnage incontournable, c’est de lui que venait la limitation du tirage.  Malgré les demandes, il s’en tenait toujours aux possibilités financières du groupe.  Le distributeur entrait en jeu lorsque le numéro était terminé. Le transport se faisait aux heures les plus favorables.  Une nuit, deux courriers se rendirent chez un imprimeur.  Ils étaient gendarme de profession et portaient leur uniforme.  Un troisième résistant, habillé en civil, les accompagnait.  Vers deux heures du matin, les trois résistants rentraient, avec un colis de huit mille feuilles clandestines accroché au cadre d’un vélo.  Soudain, ils virent venir à eux deux patrouilles de la Feldgendarmerie.  Sans hésiter, nos deux gendarmes belges passèrent les menottes à leur camarade.  Ils déclarèrent, aux policiers allemands, qu’ils venaient d’arrêter un trafiquant du marché noir.  Les Allemands approuvèrent.  Après l’étape de l’imprimeur, les « clandestins » étaient partagés entre les petits distributeurs. Leur tâche n’était pas moins dangereuse.  En contact avec des centaines de lecteurs, les risques de dénonciations étaient très grands.  Ils recrutaient des fonds qu’ils acheminaient par filière jusqu’au caissier.

                                                             

Un an maximum de lutte pour les rédacteurs, six mois pour les imprimeurs et les distributeurs.  Ce qui se traduit ainsi, après six mois de travail pour les uns et un an pour les autres, nonante-neuf fois sur cent ils tombaient dans les griffes de la Gestapo.  Il était Dantesque de travailler, de résister dans l’ombre en sachant qu’après un certain temps, c’en serait fait non seulement de l’engagement, mais aussi de tout espoir de revoir les siens. 

« Toi qui entre ici abandonne toute espérance »

Les tribunaux militaires de l’occupant jugeaient beaucoup d’affaires de presse clandestine.  Les autorités judiciaires allemandes les estimaient extrêmement graves.  Ils condamnaient souvent, les imprimeurs ou rédacteurs de ces journaux, à mort.  Les autres, le tribunal les envoyait dans les camps, leur appliquant la procédure de «nuit et brouillard ». 

Ce qui explique, pourquoi des animateurs comme le communiste Soupart, de la « VOIX BORAINE », ont livré un combat furieux aux Feldgendarmes, qui venaient les arrêter.  Plus de deux mille agents de la presse clandestine ont trouvé la mort dans cette lutte souterraine.  Beaucoup, comme les frères Danneels, imprimeurs de la « LA VOIX DES BELGES » furent fusillés. Pierre Bosson du « DRAPEAU ROUGE » fut incinéré vivant.  D’autres , pour ne citer qu’Alfred Bribosia, un distributeur, furent gazés.  D’autres encore furent décapités, comme Jacques Lagneau et Jean-François Tihon, tous deux communistes.  Mais la plus grande majorité mourut lentement, dans les camps de concentration nazis. 

LE FAUX-SOIR du 9 novembre 1943.

Début 1944, à Londres, lors d’une conférence sur la Belgique occupée, les participants lurent avec étonnement et passion des copies du « Faux-Soir » apportés par le docteur Marteaux, délégué du Front de l’indépendance.  Ils rirent de la belle « zwanse » montée par la presse clandestine bruxelloise.
Mais cette affaire ne fut pas qu’une moquerie envers l’ennemi. Elle fut l’un des actes les plus audacieux de la résistance qui valut la mort ou la prison à la plupart de ses auteurs.  Cette action impressionna l’ennemi, l’opinion publique belge et celle du monde entier. 

Le « Faux-Soir », tiré à cinquante mille exemplaires,  fut une initiative de Marc Aubrion.  Rédigé par Fernand Demany du Front de l’indépendance, par  Van den Branden de Reeth, « JUSTICE LIBRE », futur ministre, par Anciaux et Aubrion.  Composé avec le concours de Ferdinand Wellens, imprimeur, de Pierre Ballencourt, linotypiste, Vandevelde, rotativiste et de Oorlijnck, linotypiste.  Aidés par de nombreux distributeurs anonymes.

Le 9 novembre 1943, vers 16 heures, la distribution des « Faux-Soir » commença dans une quinzaine de kiosques à journaux bruxellois.
Ils vendirent, à leur insu, environ 5.000 exemplaires.  Le solde fut distribué par divers groupements de résistance, surtout par le Front de l’Indépendance.  Dix mille de ces « Faux-Soir » furent diffusés dans  l’Europe occupée. 
C’est sans doute ce qui explique l’action des membres du Mouvement Uni de la Résistance Française.  Le 31 décembre 1943, des camions appartenant aux « Groupes Francs » firent le tour des kiosques à journaux de Lyon.  Leurs conducteurs réclamèrent les numéros du « NOUVELLISTE », journal collaborateur, déposés cinq minutes auparavant.  Ils déclarèrent aux vendeurs que ces journaux étaient censurés.  En échange, ils remirent la feuille éditée par les résistants.  Ce faux journal obtint un succès extraordinaire.  Un avis inséré en deuxième page signalait : « Ce numéro exceptionnel du « NOUVELLISTE » a été entièrement réalisé par les Mouvement Unis de Résistance et mis en vente par eux, malgré la Gestapo et la police vichyssoise, à titre de sanction contre la direction collaborationniste du journal ». 

La Gestapo bruxelloise, chargée de retrouver les responsables du « Faux-Soir », identifia, le 25 février 1944, l’imprimerie.
Wellens fut arrêté et condamné à sept ans de Forteresse.  Il n’est pas revenu.  Vandevelde, condamné à trois ans de prison, ainsi que Oorlijnck condamné à un an de prison, rejoindront leur famille après la guerre.  Aubrion co-rédacteur, promoteur et organisateur de l’affaire, fut arrêté (alors qu’il avait en préparation un faux « SIGNAL ») et condamné à mort le 17 mai 1944.  Rejugé un mois après (22 juin), sa peine fut commuée à quinze ans de forteresse.  Une quinzaine de distributeurs et de revendeurs furent condamnés à des peines allant de six semaines à cinq ans de forteresse. 
Cette affaire qui fit grand bruit, assura au Front de l’Indépendance la reconnaissance de Londres qui lui octroya un sérieux subside.

Il n’est pas exagéré de dire que la presse clandestine a apporté aux Alliés, une arme terrible. Développée dans tous les pays occupés, la presse clandestine a menacé de manière constante les arrières de l’ennemi.  Cette presse gagna la bataille psychologique imposée par les envahisseurs. 

La pensée humaine ne capitula pas.     


« Déjà la presse clandestine n’est plus qu’une appellation vague pour beaucoup…l’oubli de certaines actions sublimes serait un crime égal à l’oubli des plus belles pages de notre histoire… »
Jean Honorez.

Quelques visages des Héros et martyrs de la presse clandestine.  Pour ne pas les oublier.  Tous furent fusillés.




Julien Bouckaert, 35 ans.




Léopold Daneels, 43 ans. 

Marcel Daneels, 39 ans.

Constant De Greef, 34 ans.

Norbert De Keyser, 50 ans.

Maurice De Meese, 17 ans.

Louis De Mol, 40 ans.

Jean Delville, 34 ans.



Gustave Dequenne, 45 ans.

Jacques Drabbe, 30 ans.


Léon Horrion, 23 ans.

Jean Lacrosse, 45 ans.



Servais Lorigenne, 52 ans.

Gaston Notte, 41 ans.



Edmond Preys, 64 ans.


Alfred Steux, 26 ans.

Jean Tihon, 46 ans.



Fidèle Van Weyenberg, 19 ans.

Omer Vandeuren, 29 ans.



Joseph Wauty, 46 ans.


HOMMAGE

mercredi 6 juillet 2011

La barque d'Isis


Pénétrant dans l’église de Notre-Dame-du-Sablon à Bruxelles, le visiteur aperçoit, vers le centre de la Nef, sur le côté droit, une barque.   Dans celle-ci, une Vierge à l’enfant, une femme en prière et au gouvernail, un homme. 

Plus loin, au-dessus de l’entrée latérale de l’église, une autre embarcation traitant le même sujet.  Ce groupe, plus ancien que le précédent, sculpté vers 1600, est un don du chirurgien privé des Archiducs.  Son portrait en médaillon est accroché au pied de la Vierge.   Ces barques figurent l’arrivée à Bruxelles, en 1348, par la rivière, d’une statue de la Vierge à l’Enfant.  

Selon l’une des légendes, une vieille anversoise, Béatrice Soetkens, vit en rêve la Vierge.  La Sainte lui demanda d’enlever dans l’église principale de sa ville, une statuette, vénérée sous le nom de Notre-Dame à la branche.  Béatrice obéit.  Présent, le sacristain voulut s’opposer à cette « soustraction » ordonnée par le Ciel.  Pétrifié par la volonté divine, le brave homme regarda, impuissant, la voleuse quitter les lieux emportant la sainte effigie.  Montée sur une barque conduite par son mari, Béatrice parvint rapidement à Bruxelles.

 Le duc et sa cour, le magistrat et les métiers, la reçurent à bras ouverts.  Ils transportèrent ensuite, joyeusement et avec pompe, la statue dans la chapelle du Sablon.  Les arbalétriers bruxellois formait l’escorte.


L’anniversaire de cet événement fut célébré tous les ans, par une procession accompagnée des arbalétriers. Elle prit, par la suite, un développement considérable.  De nos jours, cette procession est une jolie attraction touristique payante connue sous le nom d’Ommegang.

Inutile de chercher, dans l’église, Notre Dame à la branche, la statuette a disparu depuis longtemps. 

Notre Dame du Sablon s’appelait autrefois Notre Dame du cimetière.  L’agréable square du petit Sablon que l’on voit de l’autre côté de la rue, est bâti sur le sol de l’ancien cimetière de cette église. 
Autrefois, le samedi, jour consacré à Saturne, et à la mort, la Vierge en procession faisait le tour de l’enclos funéraire.  Elle chargeait alors, dans sa barque, pour les conduire vers la lumière, les bonnes âmes ayant payé leur sépulture dans le cimetière.

Cette pratique, de l’avis des ésotéristes, serait une transposition du mythe égyptien d’Isis et de la barque solaire, dernier voyage du défunt vers l’autre monde. 

Ainsi, la barque de la bonne Béatrice, ne serait qu’une adaptation du rite égyptien !   Au milieu de la barque, l’enfant Jésus dont la tête est coiffé d’un soleil  représente Râ, le dieu solaire.  Le mari de Béatrice au gouvernail désigne le défunt guidant la barque.  La Vierge symbolise la déesse Isis.  Le sceptre de la Vierge figure la croix ansée de l’éternité.  Béatrice incarne Nephtys la sœur d’Isis, protectrice des morts.
Qui était cette Béatrice choisie par la Vierge ?  On n’en sait rien.  Mais nous connaissons la légende de Sainte Béatrice qui présente des analogies avec celle d’Isis.



Béatrice vécut pendant le règne de l’empereur romain Dioclétien.  Ses deux frères furent décapités et leurs cadavres jetés dans le Tibre.  Leur sœur, Béatrice retrouva leurs corps et leur donna une sépulture décente.  Osiris fut tué et, son corps découpé, jeté dans le Nil.  Isis, sa soeur et épouse, le retrouva et lui donna une sépulture. 

Le choix du prénom de la pauvre anversoise n’est peut-être pas innocent.

Le culte égyptien d’Isis fut importé dans la Grèce antique.  Rome l’adopta ensuite.  Puis son culte se répandit dans les provinces romaines.  Plus tard, l’empereur Constantin converti au christianisme tenta d’imposer sa nouvelle religion dans tout l’Empire.  Malgré les avancées de la croyance officielle et les lois répressives de Théodose et de ses successeurs, le paganisme résista longtemps encore.    Saint-Ouen considérait ces peuples comme féroces et sans aucune notion du christianisme.   Dans nos régions, La Flandre ne fut évangélisée qu’à l’époque du roi Dagobert.  Dans le Nord de l’Europe, beaucoup honoraient encore la déesse égyptienne.  Alors, on masqua les temples païens en y bâtissant par-dessus des églises.  Les dieux et déesses antiques furent christianisés.  Ils se virent attribuer de nouvelles identités.  Ainsi, les trois cent soixante-cinq génies, que la Kabbale attribue à chacun des jours de l’année, furent baptisés des noms de trois cent soixante-cinq Saints.   Certains de ces Saints n’étaient que des appropriations de noms de dieux de la mythologie.  Ainsi Démeter devint Saint Démétrius, Dyonissii, Eleutherii, Rusticii devinrent respectivement Saint Denis, Saint Eleuthère et Saint Rustique.  Et le nom de Marie recouvrit celui de la déesse mère Isis. 




Les diverses appellations utilisées pour nommer Isis : « la reine du Ciel », « la mère de Dieu », « Celle qui a enfanté Dieu » ont été donnés à Marie, mère de Jésus.  L’Eglise donna à Marie un rôle exalté, largement au-delà de celui que lui attribuaient les Evangiles.


 Autrefois, la présence de la déesse égyptienne dans les églises n’était pas si rare que cela.  Des statues d’Isis échappées de la destruction se retrouvèrent dans les nouveaux temples, qui parfois avait été les leurs.  A Paris, dans l’église de Saint-Germain-des-Prés, on conserva longtemps, une grande statue en pierre d’Isis sur sa barque.  Un prêtre, au XVIIIe siècle, la détruisit.  Une autre effigie de pierre de la déesse logeait dans la cathédrale Saint-Etienne de Metz .  Elle mesurait environ cinquante centimètres.  A Lyon, une autre encore siégeait dans la cathédrale.  Chartres  possédait aussi son Isis qui fut remplacée par une Vierge noire.  


Il existe, de par le monde, des dizaines de ces Vierges de couleur noire.  L’Eglise ne s’est, apparemment, jamais trop préoccupée de cette particularité.  Dès les débuts du christianisme en Gaule, des Vierges noires apparurent.  En 416, à Marseille, arriva de l’Orient par bateau, l’une d’entre-elles.  En 620 à Boulogne-sur-Mer, venue par la mer sur une barque de pêcheurs, une autre Vierge noire arriva.
Avec l’avancée des études de religions comparées, des chercheurs ont envisagé que cette teinte foncée n’était pas fortuite mais voulue.  Des rapprochements furent faits avec les déesses des anciennes religions polythéistes.   Les recherches se portèrent en particulier sur les déesses-mères.  Les spécialistes remarquèrent les ressemblances entre les Vierges à l’enfant et les représentations d’Isis portant Horus. 
A Chartres, au Puy-en-Velay, et dans bien d’autres endroits encore, on rencontre des Vierges noires.  La plupart montrent sur leur soubassement, l’inscription : « A la Vierge qui doit enfanter ».  Des statues d’Isis étaient désignées sous le même vocable : « A Isis, ou à la vierge de qui le fils prendra naissance ».  Nombre des Vierges noires seraient de cette manière une  représentation discrète d’Isis, la déesse-mère.

Notre Dame à la branche dérobée à Anvers appartenait-elle à la catégorie de ces Vierges Noires ?  Les textes gardent le silence sur ce point.  Notre Dame à la barque serait-elle une représentation de la déesse égyptienne Isis ? L’énigme demeure.    

N.B. A Bruxelles, dans l’église de Sainte-Catherine, on vénère une Vierge Noire, repêchée en 1744, dans la Senne.