Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).


Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



lundi 26 septembre 2011

La grande cavalcade de 1880

Bruxelles doit aux brillantes Cours des ducs de Bourgogne et des Habsbourg, la tradition des cavalcades somptueuses.  Magnifiques, elles escortaient les princes lorsqu’ils inauguraient leur règne par une Joyeuse Entrée.


Bruxelles a gardé le souvenir de ces cortèges princiers.  Les défilés d’autrefois des puissants seigneurs en splendide équipage, montés sur des destriers richement caparaçonnés, entourés de leurs serviteurs portant leurs couleurs.  A leur suite, et rivalisant dans leurs riches costumes, les métiers, les corporations, les confréries, et les gildes.  Des chars décorés d’allégories symboliques ou mythologiques enrichissaient encore ces cortèges.

Jusqu’au XXe siècle, la tradition est demeurée.  A l’occasion d’une commémoration ou d’une grande exposition internationale, les autorités offraient aux visiteurs qui envahissaient alors la capitale l’une de ces grandes cavalcades.

Il y en eut de fameuses.  Comme la grande cavalcade – calvacade, prononçait le Bruxellois de souche – qui, en août 1880, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de la Belgique, reconstitua, par un immense cortège, les principaux épisodes de son histoire. Le défilé débutait par la conquête des Gaules par Jules César et se terminait à l’avènement de la dynastie actuelle.

Pendant plus de trois heures, défilèrent, au long d’un immense itinéraire serpentant à travers les artères importantes de Bruxelles, les légions romaines et les chefs des tribus belges, les plus braves de la Gaule, les bandes de guerriers entourant les rois mérovingiens, les barons de la Cour de Charlemagne, les croisés que Godefroid de Bouillon entraîna à Jérusalem, les seigneurs féodaux bardés de fer, les milices communales avec, à leur tête : les Brugeois, Breydel et De Coninck, et les Gantois Jacques et Philippe Van Artevelde, la Cour fastueuse du Grand Duc d’Occident Philippe le Bon, la brillante suite seigneuriale de l’Empereur Charles-Quint s’avançant à cheval sous un dais de drap d’or, les soldats espagnols entourant les archiducs Albert et Isabelle, les mousquetaires aux perruques blanches, gardes du corps de l’Impératrice autrichienne Marie-Thérèse, montée sur une jument blanche,  les sans-culottes du général républicain Dumouriez, les croquants armés de la guerre des paysans, les grenadiers de Napoléon, les soldats du prince d’Orange vainqueurs à Waterloo et les combattants de 1830 en sarrau bleu.

Les chars étaient décorés avec richesse, sur ses gradins, se tenaient, statues vivantes, les personnages célèbres de l’histoire des Pays-Bas ou bien encore des divinités symboliques.
Les chars atteignaient souvent la hauteur des gouttières des maisons.  Pour l’exécution de leurs œuvres, à cette époque-là, les artistes n’étaient pas limités par la hauteur du réseau des fils électriques frottés par les « flèches » des trams bruxellois.  Les tramways électriques n’existaient pas encore.

Le char de l’apothéose finale était gigantesque.  Au sommet, à une douzaine de mètres du sol triomphait une jeune fille symbolisant la victoire de la liberté, chère à la population.  Le manteau de velours bleu que portait cette déesse traînait jusqu’à terre.  On peut se faire une idée du nombre de mètres de tissus nécessaires pour confectionner ce vêtement, sans oublier le poids énorme de ce manteau, une prouesse.

Les organisateurs du cortège avaient tout vu en grand.  Le char-litière d’un roi fainéant était tiré par un troupeau de quarante bœufs.
Pour que cet immense cortège pût être vu et admiré par les centaines de milliers de spectateurs accourus de toutes parts, on lui avait assigné un itinéraire d’une invraisemblable longueur.  Aussi fallait-il donner de temps à autre un quart d’heure de repos aux milliers d’acteurs et figurants de ce spectacle.  Des sonneries de clairon annonçaient les haltes.  Le défilé se disloquait rapidement.  Les figurants allaient se rafraîchir dans les cabarets les plus proches et l’on voyait Charles-Quint, pas fier pour un sou, trinquer avec Boduognat le gaulois, tandis que Jean 1er, Marie-Thérèse, descendue de cheval, et le général Belliard sifflaient, tous trois, une bouteille de « gueuse ».  Une autre sonnerie de clairon, et tout ce beau monde rejoignait bien sérieusement son époque dans la cavalcade.

D’autres grandes cavalcades eurent encore lieu.  Pour les cinquante ans du chemin de fer, on organisa un grand cortège racontant l’histoire des moyens de transports.  Nouvelle occasion d’évoquer l’histoire du pays.  Au moment d’une exposition universelle, on prépara un grand défilé consacré à la lumière, dont le thème était le reflet des pierres précieuses.  Un autre jubilé, celui du centenaire du pays, offrit à Bruxelles l’occasion d’une nouvelle cavalcade.  Mais, les temps avaient changé.  Préoccupés par la décentralisation et le régionalisme dans le pays, les organisateurs firent défiler, cette fois-ci, les chars par Provinces.

Espérons que, pour les deux cents ans du pays, les Autorités offrent aux populations l’une de ces grandes cavalcades. 

 
Santé!

mardi 20 septembre 2011

Manneken-Pis ou le petit Julien

En quittant la grand’place de Bruxelles, empruntant la rue Charles Buls (anciennement rue de l’étoile) traversant la rue du lombard ( au passage pour piétons ), le promeneur, qui est sage et prudent,entre dans la rue de l’étuve.  Comme le nom l’indique, cette rue groupait, au moyen âge, des étuves ou bains publics.  Paradoxe : on se lavait plus au 14e siècle qu’au début du XXe siècle.  Aujourd’hui, reste seulement le souvenir et deux vers du poète Eustache Deschamps qui vint, vers 1380, se balader dans le quartier.

« Brusselle où les bains sont jolys,
Les estuves, les filles plaisans »

De nos jours, en ces lieux, le touriste a remplacé le poète.  Comme des champignons, les « giftshops » de souvenirs de Bruxelles (made in China) ont poussé sur les vapeurs disparues des étuves.  Très nombreux aussi, les vrais et les faux chocolatiers se disputent le client d’un jour et lui proposent à la vente  d’authentiques  pralines made in Belgium.  Le chiffre d’affaire de ces commerces profite de la présence, en cet endroit, au coin des rues de l’étuve et du chêne, du plus ancien citoyen de Bruxelles, le petit Julien, autrement nommé : le Manneken-Pis.  
Infatigablement en action,  cheveux bouclés, yeux de bronze et nombril au vent, haut comme trois pommes, le petit gars de Bruxelles dévisage le curieux de haut de sa fontaine.

Point de mire des touristes du monde entier, la célèbre statuette, glorieuse et unique ( pas tout à fait), fétiche des Bruxellois, attire.  On ne passe pas à Bruxelles sans aller la voir.

Quel est son histoire?

Le « ketje » possède des origines mal éclaircies.  La vérité se perd dans le temps.  Peu vraisemblables, on compte une vingtaine de récits ou fables sur ses origines.  L’une d’elles, raconte qu’un fils du duc de Brabant, encore nourrisson, fut suspendu à un chêne pendant une bataille.  Soudain, se redressant dans son berceau, il se mit à si bien arroser les combattants ennemis que ceux-ci prirent la fuite.  En souvenir de ce vaillant exploit, on éleva la statuette- fontaine et l’on planta à ses côtés, le chêne qui l’avait porté.  Laissant de cette manière, son nom à l’actuelle rue du chêne.  L’écrivain Michel de Ghelderode précise qu’au temps des druides déjà existait à cet endroit une source dédiée à la déesse de la fécondité.  Les siècles passèrent et se substituant à la déesse païenne, Mannenken-Pis occupa la  place.  Au moyen âge, son eau ravitaillait le quartier.  Au XVe siècle, on appelait l’endroit : la fontaine du petit Julien. 

En 1619, la fontaine se faisait vieille et le 13 août de la même année, la ville de Bruxelles commanda, pour cinquante florins, à l’atelier de l’un de ses échevins, Jérôme Duquesnoy, tailleur de pierre, une statuette, dans le nouveau style.  Un joli « Puto » un angelot bien joufflu à la manière italienne devait surmonter l’ensemble.   Selon une tradition, l’échevin-artiste aurait confié l’ouvrage à son fils aîné, François, au grand mécontentement du cadet, Jérôme, qui excellait à représenter les enfants.  Jérôme Duquesnoy fils conçut dès lors, pour son aîné, une jalousie maladive.  Une rivalité qui finira par l’empoisonnement de François par son cadet.  En 1654, accusé  à Gand de « crime de sodomie et autres abominations » Jérôme Dusquesnoy sera condamné à être brûlé vif.  Le fétiche porte bonheur des Bruxellois avait porté malheur à ses auteurs.

Les annales de la cité rapportent inépuisablement les aventures et mésaventures de cette statuette. Dix fois kidnappée, elle fut dix fois remise en place.

Le marmot de bronze échappa au bombardement de 1695, qui détruisit la plus partie de la grand’place et ses alentours.  Quasi religieusement il fut  déménagé et après la terrible canonnade, on le replaça en triomphe sur son socle.


Cinquante ans après, une nuit de 1745, deux soldats anglais, s’enfuyant à toutes jambes, l’emportèrent.  Fâcheuse plaisanterie.  A peine, étaient-ils arrivés dans la ville flamande de Geraardsbergen, que les Bruxellois, qui les pourchassaient les empoignèrent avec l’aide des habitants de cette cité.  En remerciement, Geraardsbergen reçut des Bruxellois, une réplique de l’inestimable statuette.  De nos jours les citoyens de cette cité déclarent détenir le plus ancien Manneken-Pis existant.


Deux ans plus tard, des grenadiers français tentèrent de renouveler ce dangereux exploit.  La population gronda si fort que le roi de France, Louis XV, lui-même, intervint dans l’affaire.  On retrouva l’objet à la porte d’une taverne.  Pour faire oublier l’événement, le souverain français offrit au petit Julien, un bel habit doré et la croix de Louis XIV, obligeant de cette manière les soldats français à le saluer militairement.  Il n’en fallait pas moins pour calmer les esprits.

Au siècle suivant, dans la nuit du 4 au 5 octobre 1817, Antoine Licas, un forçat à peine gracié, enleva Manneken-Pis.  Mauvaise idée ! la statuette fut retrouvée le long des remparts, entre les portes de Namur et de Louvain.  Rapidement découvert, Licas fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.  Enlever le petit Julien peut parfois coûter très cher.  Le bronze avait été brisé.  Reconstitué, il servit de modèle à la statuette actuelle, œuvre attribuée par certains à Godecharles, par d’autres à Capiaumont.

Mais notre gamin devait encore vivre bien d’autres aventures.  Au vingtième siècle, il subira encore des tentatives de vol en 1955 et 1956.  Kidnappé en 1963, 1965 et 1978.  Mais il finit toujours par reprendre sa place, au grand soulagement des commerçants du coin.

Mais notre petit gars de Bruxelles n’exhibe pas toujours son anatomie complète au public.  Parfois, il s’habille aussi.  Le petit possède une collection très excentrique de vêtements de toutes époques et de tous pays.  La garde-robe de Manneken-Pis contient plusieurs centaines de costumes provenant de dons variés.  Toutes ses tenues sont exposées au musée communal. 

Si le succès, jamais démenti, du petit Julien est international, c’est parce que,  bien au-dessus des légendes, des anecdotes et de la truculence du « ketje », il est un symbole de liberté.  Cette Liberté, si chère aux Bruxellois et aux autres peuples, rend la statuette universelle et explique son retentissement mondial.   

«… 
Les pays peuvent bouger
S’énerver se provoquer
Lui ne daigne pas changer

Même dans l’adversité
Il défend la liberté
Et le droit de s’exprimer
… »

Extrait de « Manneken-Pis »  du moitié Bruxellois, Maurice Chevalier. 








mercredi 14 septembre 2011

Bruxelles : un nom mystérieux ?



              Les mystères d’une cité débutent souvent avec son nom.  Il en est ainsi des grandes villes comme des grands hommes. On ne s’en occupe qu’au moment où leur importance et leur célébrité attirent l’attention. Aussi leurs origines restent-t-elles le plus souvent enveloppées de ténèbres et de mystères.

Les annales de Bruxelles ne commencent guère que vers l’époque de Charlemagne.  Quelques faibles lueurs apparaissent alors.  Pour les périodes antérieures au VIIIe siècle, le chercheur est réduit aux conjonctures et aux découvertes archéologiques.

L’obscurité qui enveloppe les origines du nom de Bruxelles est autant plus sombre que les rives de la Senne étaient la partie la plus déserte et la plus sauvage du pays de ces anciens Gaulois qu’étaient les Nerviens.
La domination romaine fit oublier les souvenirs rattachés à ce lieu.  Malgré tout, il est resté encore quelques traces de sites, proches de Bruxelles, dont le nom gaulois a persisté à travers les âges. La commune de Lennik se nommait  autrefois  « Linniac ».



A la suite de l’invasion franque, sur les bords du Rupel et de la Senne, La population changea complètement.  Une langue dérivant du haut allemand, et qui, plus tard, devint le flamand domina toute la région. De nouvelles cités apparurent portant de nouveaux noms.  Les anciennes agglomérations furent plus ou moins rebaptisées d’une appellation germanique.  Appartiennent à cet idiome germain la plupart des noms des villes et communes actuelles qui entourent Bruxelles.

Les nouveaux habitants nommèrent les lieux où ils vivaient suivant leurs caractéristiques géographiques.  Les sele, Heim ou Ham, ingen, berg, beke ou beek, broek ou broeck, bosch, hout, dael, laer, etc…Pour mieux encore distinguer ces endroits les uns des autres, ils empruntaient des désignations se rapportant aux objets ou êtres qu’ils avaient sous les yeux.  Le règne animal fut ainsi mis à contribution.  De là, des noms de communes commençant par Ever , wolf, beer, Ros, Os…  D’autres noms dérivent du règne végétal : Boon, assche, linde…Plus rarement, la présence d’un édifice donna lieu à une appellation : une grange (Machalum), un parc (Perck)…

On peut affirmer sans trop de crainte que l’étymologie du nom de Bruxelles (en flamand Brussel) remonte plus ou moins à cette époque-là.



Dans son « guide des voyageurs dans Bruxelles », Colin de Plancy, en 1827, donne comme origine au nom de Bruxelles :

« Selon les Flamands, l’étymologie de Bruxelles vient de Broek-selen, c’est-à-dire «  pont sur la Senne »…selon d’autres, Bruxelles vient de Bruysel, c’est-à-dire « nid de cygne »…selon les Wallons, le mot Bruxelles vient de « Brousailles »

Quant à l’avocat P. Spinnael, il écrit en 1841 :

« Broeksele, Broekzeele ou Broeksala indiquent la résidence centrale d’une peuplade ( les Bructères) dont le nom national est indiqué dans la première syllabe.  C’est là l’étymologie véritable et rationnelle du mot Bruxelles. »

Henne et Wauters expliquent en 1845 que :

« la formation de ce nom est facile à expliquer, Bruc, Brus ou Broek signifie « marais » ; sele, habitation. » .



En 1976, Paul de Saint-Hilaire déclare que :

« …Bruxelles dont l’étymologie est limpide, raison pourquoi elle a indisposé et continue à gêner plus d’un auteur.  Au gré des opinions poétiques ou politiques, on a donc vu la capitale naître d’un château, d’un pont, d’un ruisseau murmurant, d’un nid de cygnes ou même d’une escouade de Russes, qui s’y serait installée : By-Russel !

Or, comme la plupart des villes et villages de ce pays, Bruxelles tire tout simplement son nom du celtique, langue de nos ancêtres à nous.  L’origine d’autres Bruxelles dans l’Aisne ou le Nord, les mentions les plus anciennes, relevées dans des actes antérieurs à la germanisation de ces contrées interdisent à ce propos le moindre doute.  Il sera temps encore de poser aussitôt après les vrais points d’interrogation.

BRUCO ou BRUOC désignaient la végétation d’une lande humide ; d’où vient le mot bruyère, comme SALE ou SELA, terme gaulois correspondant au CELLA latin et caractérisant un petit temple, une chapelle, un prieuré.  Les Bretons n’ont pas cessé d’employer Brug et Sal avec le même sens.  BRUOCSELA était donc la « Chapelle sur la lande ».  (Bruxelles Mystérieux)

Qui a d’autres suggestions ?  Ce mystère sera-t-il, un jour, résolu ? Quel chercheur mettra tout le monde d’accord ?  L’avenir peut-être le dira.


mercredi 7 septembre 2011

Une rue paisible, un crime odieux


De nos jours, les gens qui, à Bruxelles, traversent la place de Brouckère, ignorent qu’à deux pas de là, la rue des Hirondelles, au début du siècle dernier, défraya la chronique judiciaire.  Cette rue paisible fut la scène d’un crime horrible. Aujourd’hui, bureaux et parkings ont remplacé les maisons anciennes.  Le n° 22, témoin de ce drame effrayant, a disparu en 1965.  Rien pourtant, ne prédestinait cette paisible rue du centre de la ville à une notoriété que personne n’aurait souhaité.

Cette triste affaire se produisit en Hiver.  Au dehors, il faisait déjà noir.  Les lueurs jaunâtres des hauts lampadaires au gaz éclairaient les artères de Bruxelles.  

La rue des Hirondelles (carte postale)

Ce 7 février 1906, une petite fille de huit ans, Jeanne Van Calck vient de quitter la demeure de ses grands-parents, quai aux Pierres de Taille au n° 2.  Il est 18h30 et elle se rend comme chaque jour chez sa maman qui habite au coin du boulevard Baudouin et de la chaussée d’Anvers.  Ce n’est pas loin.
La fillette y  passe une ou deux heures avant de retourner chez ses grands-parents chez lesquels elle vit.  C’est la première fois qu’elle y va seule.  Les Van Calck sont  des gens simples et courageux.  Pour pouvoir entretenir la famille, le grand-père travaille en journée dans une compagnie de tramways. Le soir, après un rapide repas en famille, il se rend dans un théâtre de la ville où il exerce la fonction de contrôleur.  Cette fois-ci, il n’a pu, comme de coutume, accompagner la fillette chez sa mère.  Jeanne lui avait dit  : «  Vous êtes en retard et maman pourrait s’inquiéter, j’irai toute seule ».  Jeanne connaît bien les rues qui conduisent de l’habitation de ses grands-parents à celle de sa maman.  De nombreuses fois, elle a fait la route en compagnie de son grand-père.  Ce soir, Il ne fait pas chaud. Comme toutes les petites filles de son âge. par-dessus sa petite robe à carreaux l’enfant porte un tablier blanc.  Pour se protéger du froid, Jeanne a enfilé  un caban de grosse laine bleu dont le col cache un peu sa belle chevelure blonde.  De solides bottines de cuir isolent ses pieds du sol glacé.  La fillette est ce qu’on appelle pudiquement une enfant naturelle.  Françoise Van Calck, sa mère a « fauté » avec un ouvrier typographe qui n’a pas reconnu l’enfant.

Ce même soir, vers minuit moins le quart, Joseph Eylenbosch, machiniste au théâtre de l’Alhambra et son fils empruntent la rue des Hirondelles.  Le spectacle fini, les dernières lumières de la scène éteintes, ils rentrent tous deux à la maison.  Pour rentrer, ils passent par cette rue paisible. C’est le chemin habituel pour rejoindre la rue de Laeken, où ils habitent.  Devant le n° 22, le regard des deux ouvriers s’arrête sur un paquet volumineux. Déposé sur le seuil de cet immeuble, le paquet est soigneusement ficelé.  Un large nœud en forme de poignée avait facilité son transport.  Intrigué par cet étrange colis, le machiniste envoie son fils chercher un agent de police.  Peu après, Pierre Noël, un figurant de l’Alhambra rejoint Joseph devant l’immeuble.  Puis, accompagné du fils de Joseph, l’agent 506, Gustave Van Damme ne tarde pas, lui aussi, à arriver sur les lieux.  Sans beaucoup de conviction, il tâte le colis, c’est du mou.  L’agent décide de faire porter le colis au commissariat de police de la troisième division, place du nouveau Marché aux Grains.  Et comme l’agent n’a pas envie de le porter lui-même, c’est Noël, le figurant de l’Alhambra, qui le portera.  Il recevra ainsi la prime promise à toute personne qui rapporte au commissariat de police tout colis suspect trouvé dans un lieu public. 

Un quart d’heure plus tard, toute la compagnie s’engouffre dans le poste de police.  Les policiers de garde sont réveillés par ce tapage.  Le chef de service Desmedt  inspecte l’étrange paquet.  Il demande à Noël de l’ouvrir.  Celui-ci coupe les cordes puis déchire le papier brun qui l’enveloppe.  Il dégage un caban bleu, une robe à carreaux et une étoffe blanche qui semble être un tablier.  Les policiers, le regard indifférent, pensent à un sac rempli de vieux vêtements sales.  Mais Noël trouve ce paquet bien trop lourd pour n’être que simplement rempli de chiffons.  Entièrement libéré de ses cordes et de son emballage de papier, le paquet brusquement, dévoile une vision d’horreur.  Le cadavre encore chaud d’une fillette tombe sur le plancher du commissariat.  L’enfant a la tête recouverte par le pantalon qui lui a été retiré.  Ce vêtement soulevé, révèle sous des paupières mi-closes deux yeux bleus et une bouche encore sanguinolente. 
Mais, ils ne sont pas encore au bout de leurs surprises.  Le pire est encore à venir.  Les murs du poste de police résonnent du cri d’effroi qui jaillit lorsque le colis montre tout son terrible contenu.  La fillette a été amputée des deux jambes.   

Branle-bas général, on réveille le commissaire, celui-ci, mis au courant,  prévient le parquet et la presse.

Le commissariat est encore tout bouleversé par l’horrible découverte lorsque, deux hommes poussent la porte.  Ils viennent, disent-ils, signaler la disparition d’une fillette âgée de huit ans.  Ils sont sans nouvelle de l’enfant depuis 19h.  Elle est blonde, elle est vêtue d’une robe à carreaux, d’un tablier blanc et porte un caban bleu.  Le signalement correspond, malheureusement au cadavre du paquet.  A présent la petite victime porte un nom : Jeanne Van Calck. 

Prévenus par la police, les quotidiens sortent des éditions spéciales.  La foule se précipite sur les journaux dont les caractères ne sont pas encore secs.  A la lecture du récit macabre et devant l’horreur du crime, la colère gronde. 
Dès le matin, une foule nombreuse se rassemble devant le n° 22 de la rue des Hirondelles.  Françoise Van Calck, apprenant le destin tragique de sa fille, s’évanouit dans la rue.

Qu’est-il arrivé entre 18h 30 et 23h 45, ce 7 février  ?

L’enquête commença immédiatement.  L’autopsie révéla que la fillette n’avait pas été tuée.  Elle avait succombé à un étouffement engendré par les matières provenant de vomissements violents.  Vomissements provoqués par une forte consommation d’alcool à 50°.  Elle tomba exactement ivre-morte après avoir été violée.  Elle n’endura pas de réelle agonie.  Le médecin légiste ne releva aucune trace de violence ou de brutalité sur le corps.  L’heure de la mort fut située entre 20 et 21heures. 

A l’aide d’un chien, des recherches furent entreprises.  Elles ne donnèrent aucun résultat.  La police recueillit quelques témoignages concernant la dernière apparition de la petite en rue et le dépôt du paquet.  Il apparaît, aujourd’hui, malheureusement que les policiers ne se sont pas préoccupés d’exploiter complètement toutes les indications qui leur ont été fournies.  Ainsi, la déclaration faite par une petite amie de Jeanne, qui affirmait l’avoir rencontré peu après 19 heures, devant l’habitation de ses grands-parents, prenant la direction opposée à celle qu’elle devait prendre pour retrouver sa maman.  Jeanne se trouvait accompagnée d’un « monsieur » en qui elle semblait avoir confiance.  D’autres compagnes de jeu auraient également aperçu la même scène.  Mais la police n’attacha que peu d’importance aux témoignages des enfants.

Les funérailles de l’enfant martyr furent imposantes.  Elles eurent lieu le 11 février, dix mille personnes y assistèrent.  Le Bourgmestre De Mot présida à la levée du corps à la morgue de l’hôpital Saint-Pierre.  La police forma une haie d’honneur et la foule maudit le responsable de ce crime atroce. 

Pendant ce temps, l’enquête se poursuivait.  On recherchait toujours les membres inférieurs de la petite victime.  Sans succès, la police sonda le canal.


Les deux paquets retrouvés par le jardinier Buelens

Le 16 février, dans le parc de l’ancienne ferme royale de Stuyvenberg, le jardinier Buelens découvrit deux paquets de 40 cm environ.  Ils contenaient les jambes de la fillette, jusqu’alors introuvables.  La veille, les bottines de la petite victime avaient été recueillies à une centaine de mètres de là. 


Mal dirigée, mal orientée, l’enquête piétinait. Pourtant, le juge Hennaux se démenait pour trouver le criminel.  Le pauvre homme fit ce qu’il pouvait, c’est-à-dire pas grand-chose.  Les gens firent leur propre enquête, un avocat de Paris, Louis Frank releva vingt-neuf fautes des policiers et publia un livre sur l’affaire «  le crime de la rue des Hirondelles ».  Si les gens recherchaient le coupable, ils avaient aussi peur.  Peur pour leurs enfants, à qui ils interdirent, désormais, de sortir seuls. 

Aucune nouvelle information ni aucune nouvelle preuve ne firent avancer l’enquête.  La presse fulmina et se déchaîna.  Les journaux accusèrent.  Ils regorgèrent de critiques sur l’incurie de l’instruction et sur l’incompétence de la police.  Dans les colonnes du quotidien « le Soir » on lisait ceci :

«  Le Belge n’a aucune des qualités requises pour faire un bon policier, il n’y a que la France et l’Angleterre pour produire de fin limier…Le seul moyen d’améliorer notre police judiciaire est d’engager des policiers français et britanniques »

Malgré de nombreuses arrestations, la justice ne réussit pas à éclaircir cette affaire, elle ne trouva jamais le coupable. 

la levée du corps de Jeanne


L’opinion publique avait été tellement émue par le sort réservé à la petite Jeanne Van Calck, que le journal « le Soir » ouvrit une souscription qui permit l’érection au cimetière de Bruxelles, d’un monument en marbre blanc, commémoratif de cette tragédie. 

Aurait-on pu arrêter celui qui s’est rendu coupable d’un crime si odieux ?

Il semble certain que Jeanne avait assez de confiance dans le criminel.  Il a pu l’entraîner chez lui sans employer de violence. 

Celui-ci ne passait pas habituellement dans les environs du domicile de la victime, sinon il aurait pu être connu ou reconnu par ses amies.

En examinant le plan des lieux, on constate que la distance qui sépare le quai aux Pierres de Taille de la rue des Hirondelles n’est pas très grande. 
L’assassin n’a donc pas entraîné sa victime bien loin.  Après le découpage de la malheureuse, il n’a certainement pas, la nuit, transporté le cadavre en un lieu très éloigné de la scène du crime. Il risquait, à tout moment, de rencontrer des passants ou des agents de police.  Les agents étaient à l’époque assez nombreux et, toujours attentifs aux transports nocturnes de valises ou colis pouvant contenir des objets volés ou du matériel de cambriolage.

Une perquisition dans tous les immeubles situés dans un rayon compris entre le n° 22 de la rue des Hirondelles et l’extrémité du n° 2 du quai aux Pierres de taille, et un interrogatoire des habitants, auraient pu fournir des indices susceptibles d’identifier l’assassin.  Pour d’éviter toute déformation des témoignages et la disparition des preuves matériels, il eût fallu qu’à partir du moment de la découverte du cadavre ces recherches soient menées rapidement.  L’enquête fut effectivement entamée en ce sens, mais elle ne fut pas poursuivie.  Un témoignage provoqua la concentration des recherches sur une entremetteuse, considérée comme une pourvoyeuse d’enfants, qui ne fut, par ailleurs, jamais arrêtée.

Ne pouvant conserver le cadavre à l’endroit du crime, le tueur a été forcé de découper le corps pour permettre son transport. 

Si la dispersion des restes de Jeanne, fut fait en deux temps c’est que probablement le ravisseur a été dérangé ou a pris peur au moment où il s’est débarrassé du tronc rue des Hirondelles.  Constatant, quelques jours plus tard,  que les recherches ne s’orientaient pas vers lui, il a jeté les autres paquets, beaucoup moins encombrants, dans un endroit désert de Laeken.

Comment la petite Jeanne a pu ingurgiter une dose relativement importante d’alcool à 50°, sans y être brutalement forcée ?  La « goutte » était fort répandue dans les milieux ouvriers d’avant 1914.  Dans le peuple, pour fortifier le nourrisson, on  ajoutait souvent dans son biberon une goutte ou deux de « blanc ».  Il n’était donc pas rare que des enfants de huit ans soient déjà alcooliques.  Mais, seule une personne connaissant Jeanne a pu lui imposer , sans résistance, d’avaler de l’alcool.

En conclusion, cette triste affaire se résume à un détournement d’une petite fille par un individu qui lui inspirait confiance et, qui l’amena dans un endroit qu’il occupait seul, où elle fut enivrée et violée, avant de décéder malencontreusement.  La manière dont les restes de Jeanne ont été emballés, après avoir été convenablement lavés, semble révéler que le violeur n’a pas voulu supprimer ni salir l’objet obsessionnel de ses pulsions soigneusement inhibées jusqu’au soir du 7 février 1906.

L’année suivante à Anderlecht, une autre fillette, Annette Bellot, fut assassinée.  Elle avait six ans.  La justice ne trouva jamais son meurtrier.  Etait-ce le même ?