Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).


Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



mercredi 25 avril 2012

André Vésale 3



Vésale a disparu du théâtre de la science.  Par dépit, il a, dit-on, brûlé des œuvres encore inédites.  Il est maintenant attaché en tant que médecin à la cour d’Espagne.  Revenu à Bruxelles, il ne laisse malheureusement aucune trace de ce séjour.  Après l’abdication de Charles-Quint, il suit son successeur Philippe II à Madrid.
Jeté au milieu d’une cour triste et remplie de préjugés, il sera loin d’y vivre heureux malgré toute la considération dont il sera entouré.

Tout un tas de légendes ont été débitées sur les années espagnoles de Vésale. On a écrit que Vésale vint dans ce pays en qualité de premier médecin de l’empereur Charles-Quint et que Philippe II le conserva dans cet emploi.  Cela ne paraît pas certain.  Dans aucuns de ses écrits, Vésale ne se qualifie de ce titre.  Si cela était, il aurait suivi Charles-Quint au monastère de Yuste, à la place du docteur Matisio, qui resta pendant deux années auprès de l’empereur et l’assista au moment de sa mort.

On raconte encore que Vésale aurait guéri le fils de Philippe II, Don Carlos, d’une blessure désespérée.  Or voici la véritable histoire, écrite par le médecin Dionisio Daza, ami de Vésale : En descendant un escalier obscur et délabré, l’infant fit une chute.  Au cours de celle-ci, ce prince heurta violemment de la tête une porte fermée.  Le premier pansement fut fait par Daza lui-même, par la suite le docteur Portuguez le traita.  Peu de temps après, on réunit pour les consulter neuf professeurs, tant médecins que chirurgiens.  Quant à Vésale, pour des raisons inconnues, il n’intervint qu’après la levée des pansements, soit onze jour après l’accident.  Il émit alors l’opinion qu’on devait ouvrir le crâne de Don Carlos, le mal étant d’après lui à l’intérieur.  L’avis ne fut pas suivi. Dans les opérations qui eurent lieu pendant les trois mois de la maladie du prince (ventouses, saignées, pansements), rien ne fut fait par Vésale.  Quelques-uns firent même appel à une sorte de charlatan à la mode du moment, ce qui ne donna naturellement aucuns résultats.  Contrairement à la légende, Vésale n’a donc jamais trépané Don Carlos.

Madrid
 
Une autre histoire que l’on colporte encore à propos de Vésale est que l’inquisition le condamna à mort pour avoir ouvert un gentilhomme qu’il avait traité pendant sa maladie.  Dans cette opération, les assistants auraient remarqué que le cœur du gentilhomme battait encore.  Mais sous la protection de Philippe II la peine fut commuée en un voyage expiatoire à Jérusalem.  Aucunes pièces officielles, aucuns témoignages, n’attestent l’authenticité de cette histoire.  Le premier qui répandit ce récit en Europe du nord, fut le publiciste Hubert Languet, suivit par Boerhaave et Albinus, tous protestants convaincus – on peut comprendre leur motivation - qui placèrent cette fable dans la préface de la réédition des œuvres de l’anatomiste.


Le dernier voyage

Swertius écrit que par ce voyage, Vésale voulait se soustraire à l’humeur tracassière de son épouse.  Jean Mentel, dit qu’il fut poussé par l’espoir de s’enrichir.  Ces deux-là ne nous paraissent pas sérieux.  Le plus grand nombre se limitent à déclarer qu’il quitta l’Espagne pour accomplir un voeu religieux.  Il est fort possible que ce voyage ne fut qu’un prétexte pour s’éloigner de la cour de Madrid.  Charles Delécluse parle d’une espèce de maladie de langueur dans laquelle Vésale était tombé. 
En lisant attentivement les derniers écrits de l’anatomiste, on remarque que cette maladie n’était autre chose que le découragement et la tristesse qui l’avaient saisi au milieu de la cour de Philippe II.  Il jouissait pourtant de la considération du roi d’Espagne, était comblé d’éloges par les médecins espagnols, Vésale se rendait bien compte qu’il n’était qu’un faire valoir, un simple ornement de la couronne ; il ne servait pratiquement à rien.  Le savant anatomiste, si précis dans ses dissections était, il faut l’avouer un piètre praticien, lent et irrésolu quand il s’agissait d’opérer lui-même sur le vivant.  Par ailleurs, il se racontait, parmi les médecins espagnols, que pendant qu’il servait dans les armées de Charles-Quint, il s’en remettait presque constamment au chirurgien Castillan qui servait avec lui. 

Depuis son arrivée en Espagne, l’impulsion qu’il avait donnée à l’anatomie s’était considérablement accrue en Italie.  La science avançait sans lui.  Fallopia, son ancien élève, venait de publier ses Observations anatomiques.  Tout en exposant ses propres découvertes, Fallopia y signalait avec le plus grand respect les erreurs et les omissions de son célèbre maître.  Cet ouvrage rappela à Vésale des souvenirs à la fois agréables et pénibles.  Il le reporta à cette époque pleine de gloire où l’Italie entière venait applaudir à ses succès.  Quelle différence maintenant ! Une cour triste et sombre, des tracasseries, aucun moyen de se tenir au courant d’une science qui sans cesse progressait, à cela s’ajoutait le chagrin de se voir dépasser et remis en question par ses élèves.  Combien il eût désiré pouvoir reprendre ses études.  « J’espère, dit-il en terminant son examen des observations critiques de son élève, si quelque jour je trouve l’occasion qui me manque entièrement ici où je n’ai même pas pu me procurer un crâne, j’espère repasser la structure d’un homme en entier, et revoir tout mon livre. ».  La mort de Fallopia, jeta définitivement l’amertume dans l’esprit de Vésale.  Dès ce moment-là, son désir de retourner en Italie, ce foyer actif du génie, se réveilla plus que jamais en lui.    

Zante

Sous un prétexte quelconque, Vésale quitta Madrid et se rendit à Venise.  Profitant d’une occasion que lui offrit Malatesta de Rimini, il s’embarqua pour l’île de Chypre, dernière étape avant la Terre Sainte.  Arrivé à Jérusalem, il reçut du sénat vénitien l’offre de la chaire d’anatomie devenue vacante depuis la mort de Fallopia.  On se doute avec quel empressement il accepta l’offre.  Il devait immédiatement retourner en Italie. Dans ce pays, plus favorablement placé qu’en Espagne, et âgé de cinquante ans seulement, il pourrait de nouveau se livrer à la science, à sa science, l’anatomie !  Il quitta Jérusalem et s’embarqua pour Venise.  Malheureusement poussé par des vents contraires, le vaisseau qui le portait fit naufrage au milieu d’une horrible tempête, sur les côtes de l’île grecque de Zakinthos ( Zante).  Ce drame arriva le 2 octobre 1564.  Dénué de tous secours, en proie à la maladie, Vésale y mourut misérablement.  Un orfèvre, qui le reconnut, lui fit donner la sépulture dans une chapelle dédiée à la Vierge, et y plaça cette inscription :

ANDREAE VESALII BRUXELLENSIS TUMULUS
QUI OBIIT IDIBUS OCTOBRIS
ANNO 1564
AETATIS VERO SUAE QUINQUAGESIMO
QUUM HIEROSOLIMIS REDIISSET


La sépulture du père de l’anatomie moderne disparut au cours d’un tremblement de terre.

Emplacement de la demeure de Vésale

Vésale avait épousé au retour de son premier voyage en Italie, Anne Van Hamme, fille d’un conseiller de la chambre des comptes à Bruxelles.  De ce mariage, naquit une fille, prénommée également Anne qui épousa plus tard un certain Jean Mol, grand fauconnier du roi d’Espagne.  Sa veuve se remaria rapidement.  La dote était belle.  Jean Mol resté veuf vendit la maison de l’anatomiste et ses dépendances à la ville de Bruxelles qui l’offrit au comte de Mansfeld en guise de dédommagement.  Au XVIIIe siècle, des religieux capucins occupèrent la demeure aujourd’hui disparue.    

«  Un grand et bel héritage, maisons, galeries, écuries et autres édifices, jardins entourés de murs et autres dépendances, communément appelé la maison de Vésale « t’huys van Vesalius » situé au-dessus du Banendal, dans la rue dite Hellestraete (rue d’enfer) » 

 
Détail

jeudi 19 avril 2012

André Vésale 2


1537, Vésale se retrouve lecteur en chirurgie à l’université de Padoue.  Etonnés par ses connaissances approfondies en anatomie, les autorités lui octroient la même année le diplôme de docteur en médecine et la chaire d’anatomie.  Désormais, il peut enseigner son savoir.  Avec ses étudiants, le jeune homme - il a vingt-deux ans - étudie la structure des veines, démontre, entre autre, que le point de côté se guérit en saignant la veine cubitale droite.  Aussi, pour aider ses étudiants, il reproduit sur papier, des schémas anatomiques.  En 1538, ses dessins sont publiés en six grands tableaux anatomiques (Tabulae anatomicae sex). 


Cette première publication excita, dans toute l’Europe, l’admiration comme s’il eût révélé un nouveau monde.  Ce succès, cependant, occasionna à Vésale quelques désagréments, ses belles planches furent largement copiées et plagiées sans qu’il puisse s’y opposer. 

Vésale, toujours attaché au dogme, commençait toutefois à douter.  Ses études, ses dissections démontraient de plus en plus les erreurs de Galien.  Jusqu’à présent, par respect pour la doctrine trop universellement acceptée, il n’avait pas osé compléter ses démonstrations.  Enfin, il osa.  Il réfuta les erreurs de Galien.  Après des années de travaux, il publia en 1543 - il avait vingt-huit ans - l’oeuvre, qui devait changer radicalement l’étude de l’anatomie humaine -  Humani corporis fabrica, sept livres, formant un grand in-folio de 824 pages - Vésale reçut dès ce jour, le nom de fondateur de l’anatomie moderne.

Mais cette œuvre si remarquable ne fut que très probablement qu’une œuvre collective, en quelques sorte le résumé de toutes ces années de travaux communs de l’école de Paris et de l’université de Padoue.
Ainsi, la démonstration anatomique de l’imperforation de la cloison qui sépare le ventricule gauche du ventricule droit, à laquelle Vésale donne l’autorité de son nom, on la doit en réalité à Béranger de Carpi.
 
Vésale ajouta beaucoup aux travaux de Galien, il les corrigea et repris en plusieurs endroits.  Mais, relativement à la circulation pulmonaire, Vésale n’avait presque rien ajouté à ce qu’avait dit l’illustre maître.
Mais un tel volume, si considérable et si brillant, sur l’anatomie ne peut, malgré tout, ni manquer d’erreurs ni manquer d’être incomplet. 
Son remplaçant dans la chaire d’anatomie de Padoue, Realdo Colombo, de Crémone, à qui l’on doit la découverte de la circulation pulmonaire, qui est le réformateur de la physiologie comme Vésale est le réformateur de l’anatomie descriptive, est autrement plus osé.  Il va plus loin encore.  Pourtant, il attribue encore beaucoup à Galien et à Vésale.

« tout en vénérant Galien comme un dieu, écrit-il, tout en attribuant beaucoup à Vésale dans l’art de la dissection toutes les fois qu’ils sont d’accord avec la nature, lorsque les choses en sont autrement qu’ils ne les ont décrites, la vérité, à laquelle je suis encore plus fortement attaché, me force de me séparer d’eux… en fait d’anatomie, je ne fais pas tant de cas de Galien et de Vésale que de la vérité ; pour moi la vérité est là où la description s’accorde avec la nature… »

On a accusé Colombo d’irrévérence, d’orgueil injustifiable envers Vésale.  Mais il faut l’écouter dans son épître dédicatoire de son livre « Re anatomica » : « lorsque, après de longs jours consacrés à la dissection de corps humains, je songeai à décrire ce que j’avais observé touchant l’anatomie, je savais qu’il ne manquerait pas de gens qui mépriseraient mes efforts comme étant inutiles et vains, et qui s’opposent sans cesse, avec grand fracas, à ceux qui veulent mettre à jour des choses nouvelles, leur Avicenne, prince, selon eux, de toutes les écoles ; Mundini, Carpi, anatomistes qui n’auraient rien laissé digne d’être ajouté à leurs travaux.  On peut en dire autant de Galien et de Vésale, après lesquels il serait orgueilleux et ambitieux de vouloir écrire sur l’anatomie du corps humain.  Néanmoins, aucun de ces esprits chagrins n’a pu me détourner d’écrire…Relativement à Vésale, je dirai tout d’abord avoir toujours parlé avec lui avec honneur, soit au foyer domestique, soit au dehors, et avoir recommandé ses écrits que tous les savants doivent avoir entre les mains….Il est de l’essence de cette noble, utile, mais difficile anatomie, que tout ce qui la concerne ne peut être embrassé par un seul homme ; et le volume si considérable et si remarquable de Vésale sur l’anatomie ne peut manquer d’erreurs.  La science ne parvient à la perfection que par les additions successives des travaux des hommes… » 

Realdo Colombo

Jalousies diverses, orgueils, crétinisme, opportunisme, honnêteté aussi, une véritable bataille rangée se livre entre tous ces savants.  Cherchant la vérité, Colombo n’hésite pas à contredire les maîtres lorsque ceux-ci se trompent. C’est très mal vu.

Vésale avait acquit assez de gloire pour en abandonner quelques bribes à l’anatomiste de Crémone.  Eh bien ! Non !  La discorde inspirée par la jalousie s’était mise entre eux.  C’est avec bonheur que l’on voit Vésale dans la première édition de « Humani corporis fabrica » en 1543, reconnaître Colombo pour son ami, son familier, et le proclamer professeur très studieux au collège de Padoue.  C’est avec déception qu’on le surprend effaçant dans la seconde édition, celle de 1555, cet hommage rendu à celui qui l’avait aidé dans ses travaux.  Cette déception augmente encore lorsqu’on constate que Vésale n’a pas craint de dire que c’était de lui que Colombo avait appris les lettres et l’anatomie.  En vérité, Vésale ne fut pour rien dans les démonstrations de Colombo.  Que du contraire, Colombo, professeur émérite, enseigna la circulation pulmonaire malgré Aristote, malgré Galien, malgré Vésale lui-même.  L’ouvrage « Re anatomica » selon certains est considéré bien supérieur à celui de Vésale.  A la différence de la « Fabrica » richement illustrée, le traité de Colombo ne contient pas d’images, et ses 269 pages se lisent avec beaucoup d’intérêt.


Les travaux et les publications de Vésale provoquèrent de vives et nombreuses polémiques.  De tous côtés, Vésale fut attaqué.  Parmi les anciens, Sylvius l’un des maîtres de Vésale à Paris, galéniste convaincu,  est tellement outré de voir Vésale attaquer le grand Galien, qu’il se fâcha tout à fait avec lui, après qu’il eut refusé de rétracter ses critiques contre le « maître ».  Pour les progressistes, son ouvrage « Humani corporis fabrica » n’était qu’une nouvelle édition, revue, corrigée et beaucoup amendée des écrits de Galien, Vésale n’allait pas assez loin.

La carrière universitaire de Vésale fut brève, six années seulement, de 1537 à 1543.  Mais en en six années, il aura modifié radicalement l’anatomie et la conception même du livre médical.  Les polémiques engendrées par ses travaux le conduiront à abandonner la recherche et l’université.  Il retournera à Bruxelles et entrera au service de Charles-Quint, pour lui, cette page est déjà tournée.  Il est devenu  un notable maintenant, une célébrité.

A suivre…


Maison de Vésale à Bruxelles










































dimanche 1 avril 2012

André Vésale, 1ere partie

Michelet écrivait : « …L’homme et son organisme, dont Vésale est le Christophe Colomb...Un Héros que Vésale.  Il enseigna à Padoue, il imprima à Bâle…Le corps humain qu’on enterrait sans le comprendre pendant tant de siècles, éclata dans la science par la description de Vésale et les planches de Titien… »

André Vésale

Bruxelles, à la fin décembre 1514, près du palais de justice actuel, dans une riche habitation de la ruelle d’Enfer,  l’un des plus prestigieux Bruxellois pousse ses premiers cris ; il s’appelle André Vésale.  
Depuis plusieurs générations, sa famille pratique la médecine : son père est pharmacien de la gouvernante des Pays-Bas, Madame Marguerite. 
Destiné par ses parents à l’exercice de la médecine, le goût de l’enfant se porte naturellement vers l’anatomie et il se fait sentir de très bonne heure.  Selon Caron, le jeune Vésale se plaisait à disséquer différentes espèces d’animaux : rats, taupes, chiens.

Ancienne ruelle d'Enfer

Le temps passe…

Le jeune Vésale vient d’atteindre sa vingtième année, et déjà son savoir est prodigieux.  Il possède le latin, le grec et l’arabe à la perfection ; l’anatomie l’attire toujours autant. 
Après avoir terminé ses études à Louvain, il passe quelques temps à l’école de Montpellier.  Rabelais et Nostradamus l’y ont précédé.  L’anatomie était à Montpellier l’objet d’une étude toute spéciale.  L’école avait obtenue l’autorisation de disséquer une fois par an, le cadavre d’un supplicié.  Malgré la renommée de l’école, Vésale s’aperçoit bientôt que Paris pourrait encore mieux satisfaire son désir de savoir.  Il quitte Montpellier en 1532, il a dix-huit ans.   A Paris, Vésale s’établit sur les bancs de Gonthier d’Andernach, médecin de François 1er.  Le roi de France qui a créé le collège de France, vient d’y attribuer la chaire d’anatomie à son médecin.  Gonthier, Vésale le connaît bien, il était professeur à Louvain.  Devant cette chaire, les élèves sont nombreux, parmi eux, se distingue un autre jeune homme, Michel Servet, lequel pour ses travaux et ses idées, finira sur le bûcher. 

 « J’ai eu dans mes travaux deux auxiliaires, savoir : André Vésale…l’autre est Michel Villanovanus (Servet), mon aide ordinaire… »

Gonthier d'Andernach

Vésale montre rapidement à tous une remarquable ardeur dans l’étude de l’anatomie.  Les leçons finies, avec les condisciples qui veulent bien le suivre, il retourne à l’amphithéâtre.  Là, il répète devant ces passionnés, l’enseignement du jour.  Le génie inspire.  Le Bruxellois ira loin.
Vésale devient pourvoyeur de cadavres pour l’école de Paris.  Rien n’est plus téméraire que de chercher un cadavre pour les cours d’anatomie.  Au cimetière des Innocents, on enlève des corps dangereux, ceux morts de maladies.  Les épidémies sont fréquentes à l’époque.  Montfaucon vaut mieux.  Mais ce sont les pendus du roi.  Les descendre d’un si important gibet - une véritable galerie à pendaison - souvent sous l’oeil des archers, est plus que risqué.  Le cachot ou pire encore attend l’intrépide qui se fait prendre.  Et puis il y a les parents, qui veillent souvent leurs morts, le peuple aussi, mêlant haines, terreurs et contes de corps ouverts vivants par les médecins.  Contes pas tout à fait faux par ailleurs.  Vésale, un jour, disséquant un cadavre, aura une désagréable surprise.  L’anatomiste, devant ses élèves, après avoir enfoncé son scalpel dans la poitrine inerte du corps étendu sur la table, verra  brusquement le sujet se réveiller en poussant un grand cri.  Celui qu’il avait pris pour un mort n’était qu’un léthargique !  Bien entendu, ce genre d’événement ne passe pas inaperçu.

Montfaucon

De Paris, Vésale retourne à Louvain où il occupe la place de prosecteur (aide-anatomiste) et de démonstrateur public d’anatomie.  Là, dans l’ancienne capitale des ducs de Brabant, incorrigible – il a pris goût, le bougre - il ira subtiliser, non sans quelques difficultés, le squelette d’un pendu qu’il présentera à ses collègues comme un souvenir rapporté de Paris.  Il est toujours bon d’être prudent dans ce genre d’affaire.  Bientôt il partira pour l’Italie.  il s’en ira pour un autre laboratoire, meilleur encore : l’armée de Charles-Quint. 1538-1539, l’armée décimée, détruite, les corps ne manquèrent pas à Vésale. 

Louvain

Terre de conflits, terre privilégiée aussi, l’Italie vers laquelle se dirigeaient non seulement les armées, mais aussi les poètes et les savants, les artistes et les penseurs.  L’étude de la médecine, de l’anatomie y régnaient en toute  splendeur.  Protégés par des lois et des tolérances, qui remontaient au début du XIIIe siècle, les savants scrutaient la nature humaine sur l’homme même.  Le grand Galien, médecin de l’empereur romain Marc-Aurèle, pratiquait quant à lui sur des singes. 
Pendant onze siècles, les opinions de ce médecin de Pergame régnèrent sur l’enseignement de la médecine.  On ne chercha plus à progresser ou même à vérifier les travaux  du maître Galien  « affirmer d’après la parole du maître » déclarait-on souverainement. 

Ce fut en 1213, que la célèbre école de Salerne reprit à cœur les travaux anatomiques.  L’on se résolut d’étudier non plus les animaux comme le maître, mais cette fois-ci, le corps humain.  L’enseignement se fit dès lors sur un plan général et les corps enseignants prirent le nom d’universités.
Chaque ville voulut l’emporter sur ses voisines par la beauté de ses universités et la célébrité de ses professeurs.  Les amphithéâtres s’élevaient de toutes parts.  Ils regorgeaient d’élèves avides de connaissances.  L’université de Padoue surtout était renommée dans le monde entier.  Là, professèrent l’anatomie, Jean-Baptiste Lombard, François Litigatus, André Vésale, Jean-Paul Guiducius, Gabriel Fallopio, Pierre Maynard, Mathieu Realdo Colombo, Jérôme Vails et Antoine Montidocia. 

On doit à Benoît Alexandre de Legnano, médecin en chef des armées vénitiennes à l’époque du roi de France Charles VIII, la première institution d’un théâtre anatomique et les premières notions d’anatomie pathologique.  Cependant tout cela ne va pas très loin, on se contente d’ouvrir les corps et de montrer les principaux organes.  Cette science était encore si peu avancée, que l’on traitait avec des drogues et des sirops les contusions et les luxations.  Et devant l’inexplicable, les médecins avaient un moyen sûr et facile de se tirer d’affaire, ils invoquaient, selon le cas, la puissance divine ou le miracle.

Après la bataille, le chirurgien aux armées

Les découvertes, à mesure qu’elles étaient faites, étaient ajoutées sous forme d’un commentaire à l’ouvrage du Bolonais Mondino, texte de référence unique pendant trois siècles.  Avec Berengario de Carpi, professeur à Bologne, la révolution est en marche.  Il recommandait à ses élèves de ne pas se contenter des assertions des autres, mais d’observer par eux-mêmes.  Il disséqua ainsi des centaines de cadavres, audace sans exemple en dehors de l’Italie. 

Une seule pensée hante ces écoles ; une recherche parallèle à celle du mouvement des cieux : l’étude du mouvement intérieur de l’homme.  Cent ans durant, on poursuivra ce mystère.  L’observation de la gravitation de la vie et la circulation du sang va enthousiasmer l’époque.    

On savait déjà que les artères étaient pleines de sang et non d’air.  Le cœur était reconnu comme le centre et la cause du mouvement artériel et du pouls.
Dès le commencement du siècle, on discuta la question de la saignée.  Où vaut-il mieux saigner ?  Au mal, ou loin du mal, pour en distraire le sang et l’attirer ailleurs ?  Cela conduisit à chercher comment circule le sang.  A Padoue, Acquapendente décrira les valvules qui, baissées, relevées tour à tour, admettent et ferment la circulation.  Mais l’avis d’une majorité de scientifiques est tout autre.  A leurs voix s’ajoute même celle de Vésale.  Malgré les preuves, les descriptions et les publications, ces doctrinaires continuent à nier l’existence de ces portes.  On ne se dégage pas aussi facilement de Galien et de la sacro-sainte tradition d’affirmer d’après la parole du maître.

Comme on vient de le voir, au milieu de cette brillante compagnie, Vésale, qui enseigne déjà, a encore de la peine à se séparer du médecin de Pergame.  Son génie suspendu à sa jeunesse hésite encore à s’envoler et de dire autrement que le « prince des médecins ».  Sur la circulation sanguine, il partage encore la plupart des erreurs qui ont cours dans les écoles.  Il n’ose pas encore se mettre en désaccord avec Galien.  Il se déclare « embarrassé pour dire quel rôle exacte le cœur joue dans ce phénomène ».

A suivre...