Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).
Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.
Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.
Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…
« …c’était au temps où Bruxelles… »
dimanche 7 août 2011
Comtesse contre comte
Au bas de la place du grand Sablon, à droite, en descendant vers la Grand ’place de Bruxelles, le promeneur traverse la place de la justice. Autrefois se s’élevait là, au coin de la rue de Ruysbroeck, l’ancien palais de justice de la ville.
C’est d’une affaire qui fut traitée dans ce bâtiment disparu, dont il va être question.
En 1804, le code civil, dont monsieur Portalis fut l’âme et Napoléon l’instigateur, affirma l’incapacité juridique totale de la femme. La femme mariée était considérée dans ce code comme une mineure à vie. C’était l’institutionnalisation, par la loi, de l’infériorité de la femme. Privée du droit de se défendre, la femme soumise à l’homme se trouva réduite au silence. Oubliées la Révolution française et la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » dans laquelle Olympe de Gouges réclamait l’égalité des droits civils et politiques des deux sexes. L’affaire suivante n’est pas de première importance, mais elle illustre fort bien ce qui précède.
Le 21 février 1849, la comtesse D. déposa, par l’entremise de son avocat, une requête au président du tribunal de première instance de Bruxelles. Elle demandait l’autorisation d’assigner à bref délai son mari. Elle voulait le faire condamner à lui verser une pension alimentaire de 2000 francs par an. La comtesse justifiait sa demande par le refus de son mari de la recevoir dans le domicile conjugal. Il l’avait chassé, pensait-on, pour une autre. Cette autorisation d’assigner son époux en référé lui fut accordée. Madame D. assigna donc son mari devant le tribunal civil.
A l’audience de la deuxième chambre, présidée par M. Wafelaar, le mari, défendeur, représenté par maître Roussel, opposa une fin de non recevoir à la demanderesse. Son épouse, plaida-t-il, n’ayant pas été autorisée, par lui, à intenter une action en justice. Les formalités définies par les articles du code civil en matière d’autorisation n’avaient pas été suivies.
Pour écarter cette fin de non recevoir, Madame D. , par la voix de son conseil Maître Jottrand, soutint que la loi ne requérait l’autorisation maritale qu’à l’égard des personnes autres que le mari. Il résultait en effet, qu’un mari ne pouvait accepter que sa femme lui intenta, devant les tribunaux, un procès. Procès que le mari considérait comme inadapté puisqu’il devait se défendre contre sa femme. Dés lors, il n’y avait pas lieu de l’obliger d’accorder son autorisation.
L’épouse délaissée ajouta que, dans un procès dirigé par une femme contre son mari, procès où le refus d’autorisation de la part du mari va de soi, c’est au tribunal à autoriser la femme à plaider sa cause en justice. Aussi demanda-t-elle au Tribunal de lui donner l’autorisation nécessaire.
Dans tous les cas, ajouta maître Jottrand, s’il fallait absolument une autorisation préalable, la permission que Monsieur le président avait accordée à la demanderesse pour assigner son mari suffisait comme autorisation.
Le 13 mars suivant, le tribunal rendit sa décision. Le président M. Wafelaar jugea que la nécessité de l’autorisation existait, sans distinction, dans tous les cas où la femme voulait plaider, que l’adversaire soit un tiers où le mari lui-même. Qu’une femme ne pouvait intenter une action en justice sans l’autorisation de son mari. Cette autorisation était requise comme un hommage rendu à la puissance maritale. La loi s’appliquait dans cas avec plus de fondement encore, car il serait peu raisonnable d’habiliter la femme précisément contre celui à l’autorité duquel elle est soumise. La demanderesse ayant intenté la présente action sans avoir été dûment autorisée. Par ces motifs, le Tribunal, ayant entendu Monsieur Maus, substitut du procureur du roi, déclara l’action de la comtesse non recevable et la condamna aux dépens.
Le chemin sera encore long à parcourir par les femmes, avant que leur parole soit enfin reconnue.
« Partout où l’homme a dégradé la femme, il s’est dégradé lui-même »
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