Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).


Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



jeudi 20 octobre 2011

Un dauphin de France à Bruxelles


Cet an Monseigneur le dauphin,
De douze hommes environné,
Vint vers Bourgogne son affin,
Et se partit du Daulphiné
( les vigiles de Charles VII – extrait)


La place royale, était jadis la cour du palais des ducs de Brabant.  Palais qui pour une histoire de confiture, brûla au dix-huitième siècle.  On appela alors cet endroit « la cour brûlée ».  Si l’histoire communale de Bruxelles s’est surtout faite à la grand’place.  L’histoire des rois, des reines et des nations s’est construite dans et autour du palais disparu.  D’illustres hôtes y logèrent, c’est leur histoire que ces chroniques prétendent raconter.
L’un des ses hôtes, fut un héritier du trône de France, le futur Louis XI.  C’est à l’âge de trente-trois ans et possédant une solide expérience politique et guerrière, qu’il arriva à la cour de Bruxelles.  Pendant cinq années, il y prépara la chute de la maison de Bourgogne. 
Une page de l’histoire de France qui s’écrivit d’abord à Bruxelles.

L’an 1456 - A la tête d’une puissante armée, le duc de Bourgogne Philippe le Bon entre dans l’évêché d’Utrecht.  Le duc ambitionne d’y introniser son fils naturel David.  A cette occasion, Bruxelles lui a envoyé des canonniers et les métiers, des combattants.  Cette campagne n’est pas encore finie que le duc apprend l’arrivée inattendue, à Bruxelles, de Louis, dauphin de France. 

Charles VII
Les démêlés de ce prince avec son père, Charles VII, avait pour objet Agnès Sorel, la maîtresse du roi.  Comme toutes les favorites, la dame de Beauté, employait son ascendant sur le roi.  Ce que ne goûtait guère l’ambitieux dauphin.  Il ne supportait pas non plus, l’outrage fait à sa mère par la conduite de la belle.  A la mort de la favorite, d’étranges bruits avaient couru sur le compte de Louis.  On sait depuis peu qu’elle mourut empoisonnée. 


Agnès Sorel, masque mortuaire

Depuis dix ans, le dauphin se tenait éloigné de son père.  Il s’était retiré dans le Dauphiné.  Avec les années, la rancoeur du roi envers son fils ne fit que s’accroître.  Lassé de ses agissements, il résolut de déployer toute sa sévérité contre le dauphin.  Averti que le comte de Dampmartin, obéissant au roi, était sur le point d’entrer dans sa province avec des troupes, il se sauva précipitamment en Bourgogne.

Ce fut vers la Saint-Martin, à huit heures du soir que Louis escorté d’environ dix cavaliers fit, par la porte de Louvain, son entrée à Bruxelles.  A la porte du palais, la duchesse de Bourgogne reçut le dauphin de France.  Dans cette cour qu’on appelait autrefois « les bailles », Louis descendit de cheval.  Il baisa la main de la duchesse Isabelle, de sa belle-fille, madame de Charolais, et de madame de Ravenstein.  Toutes s’agenouillèrent devant lui.  Puis il vint baiser les mains des autres dames et demoiselles présentes.

Après cette cérémonie courtoise, il prit le bras de la duchesse.  Contrariant les règles de la bienséance, il voulut la mettre à sa droite.  Cela entraîna entre eux une vive conversation.  « Monsieur, disait la duchesse, il semble que vous avez désir que l’on se moque de moi, car vous voulez faire faire ce qui ne m’appartient pas ».  Le dauphin assurait le contraire, et que c’était à lui d’honorer madame de Bourgogne, car il était le plus pauvre du  royaume de France, et ne savait où trouver refuge, sinon chez son bel oncle Philippe.  Ils discutèrent ainsi pendant plus d’un quart d’heure.  Finalement le dauphin capitula.  Ce qui était plutôt rare chez lui.  Il lui donna sa main gauche mais prit le bras de la duchesse.  Elle ne pouvait non plus accepter cela.  La duchesse Isabelle protestait que pour rien au monde elle n’irait à sa main ou sur la même ligne, question d’étiquette.   Cette fois, rien n’y fit.  Le dauphin ne lâcha pas prise.  Elle dut accepter à son tour.  On jasa beaucoup à la cour de cette affaire.  Gênée, elle conduisit comme cela le dauphin dans sa chambre.  On avait attribué à Louis la chambre du duc absent.  En quittant le dauphin, elle et les autres princesses, dames et demoiselles s’agenouillèrent de nouveau jusqu’à terre. 

Isabelle de Portugal

Le dauphin envoya l’un de ses gentilshommes en Hollande pour annoncer au duc de Bourgogne, son arrivée à Bruxelles. 
Philippe informa le roi de France de l’arrivée de son fils, chez lui. 
Très diplomate, le grand duc d’Occident agissait prudemment pour ne blesser extérieurement aucune convenance.  Pour éviter tout conflit, Il ne se rendrait pas à Bruxelles, avant d’avoir reçu une réponse de Charles VII.  La réponse évasive qu’il reçut de celui-ci n’éclaircissait malheureusement pas la situation.  Ce fut sans connaître vraiment les intentions du roi de France que le duc décida de rentrer.  Il retrouva  son palais le quinze octobre. 

Lorsqu’elles apprirent l’arrivée de Philippe, la duchesse et madame de Charolais descendirent jusqu’au milieu de la cour pour l’accueillir.  Le dauphin l’apprit à son tour, et sortit de sa chambre.  Il se rendit auprès de Madame Isabelle.  La duchesse eut beau lui expliquer, que les règles de l’étiquette étaient gravement enfreintes par sa présence et qu’il devait remonter dans ses appartements, l’incorrigible ne l’écouta pas.  Louis attendit avec les autres, le duc Philippe. 

Quand le duc sut que le dauphin l’attendait au milieu de la place, il descendit de cheval aux grilles du palais, et du plus loin qu’il vit le dauphin, il s’agenouilla jusqu’à terre.  Le dauphin voulut aller à lui, la duchesse le retint par le bras, ce qui donna à Philippe le temps de faire un deuxième hommage.  Quand enfin, Louis s’avança, le duc s’agenouilla de nouveau jusqu’à terre.  En réponse, Louis s’inclina fort bas, pris son oncle par le bras, et ensemble, ils montèrent ainsi l’escalier.  
Le dauphin joua l’épouvanté.  Il exposa les raisons qui l’obligèrent à s’expatrier.  Louis ne manqua pas de raconter ses nombreux griefs au duc.  Il l’assura que s’il n’avait pas trouver aide et protection à la cour de Bourgogne, il serait passé en Angleterre.  Là-bas, il aurait fait alliance avec les ennemis de la France. 

Philippe le Bon
Le duc lui déclara : « Monseigneur, soyez le bien-venu en mes pays.  De votre venue je suis fort joyeux, mais en tant qu’il touche de vous faire aide de gens et de finances, sachez de certain que, contre tous les princes du monde, je vous voudrais faire service de corps et de biens, sauf contre monseigneur le roi, votre père, contre lequel, pour rien, je ne voudrais entreprendre aucune chose qui fût à son déplaisir.  Et au regard de vous faire aide pareillement, pour mettre hors de son hôtel aucun de son conseil, pareillement je ne le ferai pas ; car je le tiens si puissant, si sage et si prudent, qu’il saura bien réformer ceux de son dit conseil, sans qu’il soit besoin qu’autrui s’en doive mêler, et de ce je m’attends bien à lui. » (Mathieu de Coucy).  Voilà le dauphin prévenu.  Philippe ne l’aiderait pas dans sa querelle avec son père.  Ils eurent encore ensemble d’autres paroles que personne n’entendit.

Philippe, prince français, ne voyait rien au-dessus de la couronne de France.  Il traita son hôte en fils de roi.  Les degrés de proximité du trône établissait l’ordre des préséances, aussi Philippe, pendant tout le séjour du dauphin, observa sévèrement à son égard les lois de l’étiquette. 

Pour l’aider à vivre, il lui assigna une rente de 36.000 florins et le château de Genappe pour résidence.  Assez proche de Bruxelles, ce château offrait une demeure aussi saine qu’agréable au dauphin.  Entouré de ses fidèles, de gentilshommes bourguignons et de Bruxellois comme le sieur de Kestergat, amman de Bruxelles, le dauphin satisfaisait son goût pour la chasse dans la forêt de Soigne.  Ses longues soirées d’hiver étaient remplies par les plaisirs de la table, le jeu et les récits grivois.  Il aimait ces joyeux contes dans lesquels prenaient place sans détour, les maris trompés et les femmes infidèles. Superstitieux et déjà fort intéressé par la divination, le futur Louis XI fréquentait sans relâche les astrologues du pays.  Il apprit ainsi à connaître le grand almanach.

Le duc de Charolais

Malgré leurs caractères différents, la passion commune pour la chasse de Louis et du fils du duc, le comte de Charolais, établit entre eux une sorte d’intimité.  Charles avait été élevé au milieu d’une cour brillante, dans les principes de la chevalerie. Louis, au contraire, dédaignait ces rêveries chevaleresques.  Le premier s’égarait dans un monde imaginaire de gloire.  Le second réduisait l’existence à un simple mécanisme.  L’un s’abandonnait aux passions, le second les réprimaient.  Incapable de feindre, le Charolais s’attirait le mépris du dauphin qui avait fait de la ruse et de la dissimulation une conduite de vie.  Profitant de ses loisirs forcés, Louis s’inscrivit à l’Université de Louvain.  C’est là, qu’il puisa sans doute son goût pour Aristote.  A Louvain, pour la première fois, il entendit parler d’un certain Wesselus Gansfortius.  Devenu roi de France, il l’appela pour réformer l’université de Paris.

A suivre.

Louis XI

mardi 11 octobre 2011

La Garde Civique

Se méfiant du bon peuple des villes, pour l’avoir vu à l’œuvre dans les journées de septembre, les constituants de 1830, pour défendre les institutions contre cette multitude turbulente, instaurèrent, dans la loi, une Garde Civique.

Survivante des vieilles milices communales ou copie de la Garde Nationale française, la Garde Civique, destinée au maintien de l’ordre et de la tranquillité des villes, était une garde bourgeoise.  Ses membres étaient recrutés presque entièrement dans cette classe sociale.  Les pauvres en étaient exclus, leurs ressources ne leur permettaient pas d’acheter l’équipement nécessaire à ce service.

Cette Garde ne concernait que les agglomérations d’une certaine importance, aussi quelques grands patriciens, resquilleurs, pour échapper à cette incorporation, se domiciliaient dans les villages des banlieues de celles-ci.

Mais cette Garde, faite de tous ces gens convenables, ne fut pas toujours une très bonne idée.  Si les gardes civiques voulaient bien partager avec l’armée, les grandeurs et les servitudes de la fonction, ils entendaient cependant bien rester citoyen. 
Ainsi, un jour que la population était fort en colère contre les agissements du gouvernement, des groupes de gardes civiques protestèrent devant le palais royal.  La crosse du fusil en l’air, ces iconoclastes chantaient : « au balcon, roi de carton ».  Et lorsque le 7 septembre 1884, des milliers de catholiques, venus soutenir ce même gouvernement, manifestèrent, à leur tour, dans les rues du centre de Bruxelles, ils furent, malgré la présence de la Garde Civique, frappés à coups de bâton, par des groupes d’étudiants.  Selon les témoins, les gardes civiques massés devant la Bourse, pour maintenir l’ordre, n’empêchèrent pas les étudiants d’agir et repoussaient plus volontiers, à coups de crosse, les catholiques qui tentaient d’échapper à la raclée.

Quand les pelotons atteignaient l’effectif d’un régiment d’infanterie, ils devenaient une légion. Bruxelles en possédait deux et chacun de ses faubourgs en possédait une.  Chaque légion était dotée d’un bel état-major, colonel, lieutenant-colonel, majors et commandants.  Bien entendu, ces hauts gradés se déplaçaient à cheval.  La plupart les louaient.  Les mauvaises langues osaient prétendre que certains de ces officiers empruntaient leur monture aux écuries de la Compagnie des Tramways Bruxellois.  Les transports de personnes, à cette époque, se faisait encore par traction animale. 

Il arriva, plus d’une fois, que le canasson promu provisoirement à la dignité de coursier, accoutumé à l’itinéraire de sa ligne, s’arrêtait à chaque halte qu’il reconnaissait.   La marche s’interrompait alors brutalement pour le cavalier et sa colonne.  Et cela à la grande joie irrévérencieuse de la troupe rigolarde qui suivait son chef.   On racontait, encore, qu’un de ces majors cavaliers, ayant enfourché un cheval de cirque, eut la désagréable surprise de voir sa bête danser, faire des cabrioles, dès que la musique de la légion entonnait une marche joyeuse.  Et cela, encore et toujours pour le plus grand plaisir de la troupe.

Chaque légion avait sa musique, son tambour-major, au ventre imposant et sa cantinière portant sur la hanche son tonnelet bien rempli de genièvre.

Les uniformes des gardes n’étaient pas des plus fringants.  Pantalon et veste noirs garnis aux coutures d’un liséré rouge, l’ensemble boutonné de cuivre mat et un chapeau en feutre dur surmonté, les grands jours, d’un panache en plume de coq, complétait le caractère militaire du vêtement.

Les gardes civiques subissaient un entraînement long, mais assez fantaisiste.  Les sous-officiers étaient élus.  Ces « emplois » convoités donnaient parfois lieu à des complots délirants.  Ces élections tournaient, par moment, à la farce.  C’est ainsi, qu’un jour, une compagnie élit pour sergents (au plus grand désespoir des supérieurs) : un cardinal, une chanteuse et un journaliste qui avait la Garde Civique en horreur.

Les instructions, exercices et prises d’armes se déroulaient habituellement dans le quartier d’où étaient originaires les membres du peloton.  Comme le recrutement était principalement local, l’allure de la troupe en souffrait un peu.  L’alignement des hommes était assez irrégulier. Des gars de toutes tailles, des gros, des maigres, des grands et des petits composaient la ligne.  C’était pire encore quand tous ces civils en uniformes essayaient de marcher en cadence.  La ligne, encore à peu près maintenue au repos, se désagrégeait rapidement pendant la marche.  Les petits trottinaient pour rattraper  les grands qui marchaient en mesure.
Aux jours des grands défilés devant le palais royal, quand, suivant immédiatement la rigueur des militaires, la Garde Civique s’avançait de la manière pittoresque qu’était la sienne, elle déclenchait une  franche rigolade parmi les spectateurs.

La Garde Civique était aussi pourvue d’un bataillon d’artillerie, mais on ne vit jamais ses canons.  Mais, le deuxième jour de la fête nationale, c’est à elle que revenait l’honneur de tirer, au parc du Cinquantenaire, les salves annonçant les festivités du jour.

Le pompon était tenu par l’escadron de la Garde Civique à cheval, que commandait, alors, superbe et majestueux, un notaire-sénateur.  Cette formation avait adopté, à quelques exceptions près, l’uniforme éblouissant des guides de l’impératrice de France, Eugénie.  Quand ils paradaient, chargés de brandebourgs, de soutaches, de parements et d’aiguillettes d’argent, la population bruxelloise entrait dans le monde de l’opérette viennoise.   Ce corps représentait l’aristocratie de la Garde Civique.  Il ne descendait jamais dans le bas de la ville, trop populaire.  Il se contentait habituellement de l’avenue Louise et des beaux boulevards du haut de la ville.  Tandis que les autres corps, venaient régulièrement animer les boulevards du centre.  Ils entraînaient à la suite de leurs fanfares les promeneurs du dimanche.  Ces corps se dispersaient place de Brouckère.  Cette place, entourée de brasseries, d’estaminets et de bars à vin, était toute désignée pour la ruée vers les pompes à bière et les comptoirs de zinc.  Pour épater  les civils, on s’y pavanait en bel uniforme, le verre à la main, on se donnait du « mon major », du « mon capitaine », du « mon lieutenant », voire même du « sergent ».

Ces soldats du dimanche qui prenaient leur rôle au sérieux ont offert mille anecdotes amusantes au public.  Sur de nombreuses scènes, ils furent souvent la cible des humoristes.   

Il leur suffisait de dire (ou de le chanter) :  « halte-là, on ne passe pas, la Garde Civique est là »,  pour que tout de suite, le calme revienne.

Malheureusement, plus tard, le gouvernement militarisa cette institution bon enfant.  On lui imposa, pour de simples éclats de voix, de simples désordres de rues, des consignes implacables, plus conformes à la guerre qu’au maintien de la tranquillité publique.  Dès ce moment-là, les fusils partirent parfois trop vite.  Et cela se fit, notamment à Louvain et à Mons, du pas très joli, du vilain, et même du très vilain.

                            

La garde Civique fut dissoute en 1920.