Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).
Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.
Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.
Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…
« …c’était au temps où Bruxelles… »
mardi 11 octobre 2011
La Garde Civique
Se méfiant du bon peuple des villes, pour l’avoir vu à l’œuvre dans les journées de septembre, les constituants de 1830, pour défendre les institutions contre cette multitude turbulente, instaurèrent, dans la loi, une Garde Civique.
Survivante des vieilles milices communales ou copie de la Garde Nationale française, la Garde Civique , destinée au maintien de l’ordre et de la tranquillité des villes, était une garde bourgeoise. Ses membres étaient recrutés presque entièrement dans cette classe sociale. Les pauvres en étaient exclus, leurs ressources ne leur permettaient pas d’acheter l’équipement nécessaire à ce service.
Cette Garde ne concernait que les agglomérations d’une certaine importance, aussi quelques grands patriciens, resquilleurs, pour échapper à cette incorporation, se domiciliaient dans les villages des banlieues de celles-ci.
Mais cette Garde, faite de tous ces gens convenables, ne fut pas toujours une très bonne idée. Si les gardes civiques voulaient bien partager avec l’armée, les grandeurs et les servitudes de la fonction, ils entendaient cependant bien rester citoyen.
Ainsi, un jour que la population était fort en colère contre les agissements du gouvernement, des groupes de gardes civiques protestèrent devant le palais royal. La crosse du fusil en l’air, ces iconoclastes chantaient : « au balcon, roi de carton ». Et lorsque le 7 septembre 1884, des milliers de catholiques, venus soutenir ce même gouvernement, manifestèrent, à leur tour, dans les rues du centre de Bruxelles, ils furent, malgré la présence de la Garde Civique , frappés à coups de bâton, par des groupes d’étudiants. Selon les témoins, les gardes civiques massés devant la Bourse , pour maintenir l’ordre, n’empêchèrent pas les étudiants d’agir et repoussaient plus volontiers, à coups de crosse, les catholiques qui tentaient d’échapper à la raclée.
Quand les pelotons atteignaient l’effectif d’un régiment d’infanterie, ils devenaient une légion. Bruxelles en possédait deux et chacun de ses faubourgs en possédait une. Chaque légion était dotée d’un bel état-major, colonel, lieutenant-colonel, majors et commandants. Bien entendu, ces hauts gradés se déplaçaient à cheval. La plupart les louaient. Les mauvaises langues osaient prétendre que certains de ces officiers empruntaient leur monture aux écuries de la Compagnie des Tramways Bruxellois. Les transports de personnes, à cette époque, se faisait encore par traction animale.
Il arriva, plus d’une fois, que le canasson promu provisoirement à la dignité de coursier, accoutumé à l’itinéraire de sa ligne, s’arrêtait à chaque halte qu’il reconnaissait. La marche s’interrompait alors brutalement pour le cavalier et sa colonne. Et cela à la grande joie irrévérencieuse de la troupe rigolarde qui suivait son chef. On racontait, encore, qu’un de ces majors cavaliers, ayant enfourché un cheval de cirque, eut la désagréable surprise de voir sa bête danser, faire des cabrioles, dès que la musique de la légion entonnait une marche joyeuse. Et cela, encore et toujours pour le plus grand plaisir de la troupe.
Chaque légion avait sa musique, son tambour-major, au ventre imposant et sa cantinière portant sur la hanche son tonnelet bien rempli de genièvre.
Les uniformes des gardes n’étaient pas des plus fringants. Pantalon et veste noirs garnis aux coutures d’un liséré rouge, l’ensemble boutonné de cuivre mat et un chapeau en feutre dur surmonté, les grands jours, d’un panache en plume de coq, complétait le caractère militaire du vêtement.
Les gardes civiques subissaient un entraînement long, mais assez fantaisiste. Les sous-officiers étaient élus. Ces « emplois » convoités donnaient parfois lieu à des complots délirants. Ces élections tournaient, par moment, à la farce. C’est ainsi, qu’un jour, une compagnie élit pour sergents (au plus grand désespoir des supérieurs) : un cardinal, une chanteuse et un journaliste qui avait la Garde Civique en horreur.
Les instructions, exercices et prises d’armes se déroulaient habituellement dans le quartier d’où étaient originaires les membres du peloton. Comme le recrutement était principalement local, l’allure de la troupe en souffrait un peu. L’alignement des hommes était assez irrégulier. Des gars de toutes tailles, des gros, des maigres, des grands et des petits composaient la ligne. C’était pire encore quand tous ces civils en uniformes essayaient de marcher en cadence. La ligne, encore à peu près maintenue au repos, se désagrégeait rapidement pendant la marche. Les petits trottinaient pour rattraper les grands qui marchaient en mesure.
Aux jours des grands défilés devant le palais royal, quand, suivant immédiatement la rigueur des militaires, la Garde Civique s’avançait de la manière pittoresque qu’était la sienne, elle déclenchait une franche rigolade parmi les spectateurs.
Le pompon était tenu par l’escadron de la Garde Civique à cheval, que commandait, alors, superbe et majestueux, un notaire-sénateur. Cette formation avait adopté, à quelques exceptions près, l’uniforme éblouissant des guides de l’impératrice de France, Eugénie. Quand ils paradaient, chargés de brandebourgs, de soutaches, de parements et d’aiguillettes d’argent, la population bruxelloise entrait dans le monde de l’opérette viennoise. Ce corps représentait l’aristocratie de la Garde Civique. Il ne descendait jamais dans le bas de la ville, trop populaire. Il se contentait habituellement de l’avenue Louise et des beaux boulevards du haut de la ville. Tandis que les autres corps, venaient régulièrement animer les boulevards du centre. Ils entraînaient à la suite de leurs fanfares les promeneurs du dimanche. Ces corps se dispersaient place de Brouckère. Cette place, entourée de brasseries, d’estaminets et de bars à vin, était toute désignée pour la ruée vers les pompes à bière et les comptoirs de zinc. Pour épater les civils, on s’y pavanait en bel uniforme, le verre à la main, on se donnait du « mon major », du « mon capitaine », du « mon lieutenant », voire même du « sergent ».
Ces soldats du dimanche qui prenaient leur rôle au sérieux ont offert mille anecdotes amusantes au public. Sur de nombreuses scènes, ils furent souvent la cible des humoristes.
Il leur suffisait de dire (ou de le chanter) : « halte-là, on ne passe pas, la Garde Civique est là », pour que tout de suite, le calme revienne.
Malheureusement, plus tard, le gouvernement militarisa cette institution bon enfant. On lui imposa, pour de simples éclats de voix, de simples désordres de rues, des consignes implacables, plus conformes à la guerre qu’au maintien de la tranquillité publique. Dès ce moment-là, les fusils partirent parfois trop vite. Et cela se fit, notamment à Louvain et à Mons, du pas très joli, du vilain, et même du très vilain.
La garde Civique fut dissoute en 1920.
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