Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).


Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



lundi 27 février 2012

Marie de Médicis et Gaston d'Orléans à Bruxelles, 3e partie


Le 12 mai, le duc d’Orléans signa un traité d’alliance avec l’Espagne. Gaston s’engageait à ne faire aucun accommodement avec le roi son frère et à combattre pour le roi d’Espagne contre la France.
Cet engagement solennel n’empêchait par Gaston de continuer les arrangements sur son retour avec le cardinal.

Louis XIII

Ce traité vint naturellement aux oreilles de Richelieu qui en fût fort irrité. Avant toute chose, il fallait engager le duc d’Orléans à rentrer dans le royaume. Sur les conseils de son ministre, le roi activa le procès en nullité du mariage de Gaston et de Marguerite. Comme on pouvait s’y attendre, le parlement déclara la nullité du mariage.

Gaston ne s’attendait pas à une telle rigueur. Il comprit que le cardinal allait lui déclarer une guerre acharnée s’il ne se hâtait pas à consentir une réconciliation.
L’acharnement de sa mère contre Puylaurens allait croissant, et il pouvait craindre à toute heure un nouvel assassinat ; la princesse de Phalsbourg le faisait trembler par ses emportements ; le duc d’Elbeuf était passé dans le parti de sa mère. Tous, de concert, le surveillaient, l’épiaient. Gaston comprenait encore que les Espagnols ne songeaient nullement à remplir les conditions du traité. Et pour cause.
Les hésitations espagnoles, les résolutions inébranlables de Richelieu, la reine-mère et ses partisans, tout cela fit réfléchir Gaston d’Orléans. Il devait absolument rentrer dans les bonnes grâces du roi son frère. L’ambassadeur de Louis XIII qui se trouvait encore à Bruxelles, s’aperçut de ce revirement. Il vint proposer au prince un accommodement qui l’accepta. L’ambassadeur partit immédiatement pour Paris. Devant les circonstances, Gaston se résignait aux volontés du roi, renonçaient à tous les traités qu’il avait signé, mais demanda toutefois l’agrément de sa majesté pour son mariage avec Marguerite. Le roi reçut avec plaisir les ouvertures de son frère, redevenu sage. Louis lui accorda son pardon, rétablit Gaston dans tous ses biens. Delbène, l’ambassadeur français, revint à Bruxelles, avec la lettre du roi. Il retrouva le duc d’Orléans toujours dans les mêmes dispositions. Gaston s’ennuyait beaucoup, désespérant ne jamais revoir la France, de ne jamais vaincre Richelieu avec l’aide des Espagnols. Il croyait même être l’objet de la haine des Bruxellois, il n’osait plus sortir que la nuit.

Le cardinal de Richelieu

Malgré le grand soin qu’il mît à cacher ses négociations avec Richelieu, une rumeur d’un rapprochement entre les deux frères se mit à circuler à Bruxelles. Elle vint aux oreilles du marquis d’Aytona. Gaston s’était rendu à Dinant pour attendre la copie du traité de réconciliation qu’il avait signé. il eut la surprise d’y trouver d’Aytona. Inquiet, il commença par se plaindre au marquis espagnol des mauvaises langues qui cherchaient à le brouiller avec l’Espagne. Il s’aperçut bientôt que l’Espagnol en savait autant que lui sur ce traité. Narquois, le marquis offrit à Gaston de le conduire jusqu’à la frontière avec tous les honneurs dus à un si grand prince, si celui-ci voulait bien l’avertir du jour de son départ. Il ajouta que sa majesté catholique le roi d’Espagne, loin de s’opposer à ce départ, serait la première à l’y engager. Embarrassé, le prince français ne sachant que répondre, chercha à nier le traité, sans y parvenir. S’apercevant de son embarras, le comte de Sallazar demanda à d’Aytona pourquoi son altesse Gaston d’Orléans ne lui tenait pas de grand discours comme à l’ordinaire – Sa Alteza quiere scapar (Son altesse veut prendre la fuite) - répondit d’un ton méprisant le marquis. Revenu à Bruxelles, Gaston y trouva le traité et son départ fut fixé au dimanche d’après. Du mercredi au samedi, il feignit d’éprouver de violentes douleurs de goutte et ne quitta pas le lit. Le samedi, il se promena toute la journée et fit ses visites accoutumées. Enfin le dimanche (8 octobre), à huit heures du matin, il monta à cheval, sous prétexte d’aller chasser le renard. Suivi de dix ou quinze des siens, il sortit par la porte de Halle. Avant de quitter Bruxelles, indécrottable, Il mentit encore aux bourgeois qui gardaient la porte. Il leur recommanda de lui faire tenir une messe prête aux Cordeliers, pour l’entendre au retour de sa chasse. Il s’enfuit ainsi sans un mot d’adieu à sa mère, à son épouse Marguerite de Lorraine et à ses hôtes. Il les abandonnait à leur sort.

Gaston duc d'Orléans

Le marquis d’Aytona regretta que le duc d’Orléans ne lui eût pas annoncé son départ, ce qui l’avait empêché de lui rendre tous les honneurs dus à sa qualité.

Les guerres devenaient de plus en plus impopulaires en France. Marie, restée à Bruxelles, jugea cette disposition d‘esprit favorable à ses intérêts. Elle adressa de nouvelles exhortations à son premier fils en faveur de la paix avec l’Espagne. Elle offrait sa médiation entre lui et son gendre, elle renouvelait par la même occasion, ses instances pour rentrer en France. Mais ce qu’elle ne savait pas, c’est que celui qu’elle avait choisi pour faire parvenir ses lettres au roi, un certain Giulio Mazzarini, nonce du pape, avait déjà choisi le camp de Richelieu qui appréciait ses talents. Aussi le futur cardinal de Mazarin ne mit aucune chaleur à servir la reine-mère. De toute manière Richelieu était bien résolu à ne pas demander la paix et surtout à ne pas la faire par l’entremise de Marie.

Marie, fatiguée d’avoir traîné pendant sept ans sa vie dans l’exil, faisait encore de nouvelles offres d’amitié et de soumission à son ministre. Toujours soucieux de maintenir séparée la famille royale, le cardinal lui faisait répondre que le maintient de la paix du royaume s’opposait à son retour en France. Il désirait, toutefois lui voir choisir sa résidence ailleurs que chez les ennemis de l’Etat, et que si elle s’établissait à Florence, sa patrie, elle y pourrait jouir de tous ses revenus, et y recevoir un traitement conforme à sa dignité.
Marie avait quitté Florence trente-huit plus tôt. Elle regardait comme la dernière des humiliations d’y retourner, au sein d’une famille qu’elle ne connaissait plus. Par ailleurs, elle se figurait toujours que son premier fils n’avait que peu de mois à vivre. Elle voulait être assez proche pour venir en tout hâte réclamer la régence durant la minorité de son petit-fils. Toutefois, elle crut qu’il valait mieux pour elle sortir d’un pays en guerre avec la France quoiqu’elle n’eût qu’à se louer de la générosité de son gendre le roi d’Espagne Philippe IV.


Marie quitta Bruxelles, le 10 août 1638, avec l’intention de prendre les eaux à Spa. Elle changea d’avis en chemin. Elle profita de l’occasion pour accepter l’invitation du prince d’Orange et se rendre en Hollande.

Gaston d’Orléans reconnut l’autorité royale, et Marie de Médicis, après la Hollande, reprit le chemin de l’exil. Il devait la conduire à Cologne où elle mourut après avoir porté en Angleterre le poids de son amère tristesse.

L’appartement qu’habita Marie de Médicis au palais de Bruxelles avait une vue sur le parc et se composait de quatre pièces tapissées de toile d’or et de satin blanc brodé, d’une magnifique chambre à coucher ornée, ainsi qu’un cabinet attenant, de tableaux de grands prix.

La cour brûlée aujourd'hui - Place royale
En savoir plus:
Marie de Médicis à Compiègne

mardi 21 février 2012

Marie de Médicis et Gaston d'Orléans à Bruxelles, 2e partie


Les préparatifs de guerre du duc de Lorraine, Charles IV, inquiétait Richelieu. Il se mit en campagne contre lui. Charles IV appela son beau-fils à son secours. Avec ses troupes, Gaston devait faire diversion en France. Le duc d’Orléans quitta donc Bruxelles le 18 mai 1632, pour rejoindre son armée.

« l’infante ne se contenta pas d’avoir si bien fait l’honneur de sa maison pendant quatre mois ; elle voulut continuer à Monsieur et aux siens les effets de sa générosité et de sa magnificence jusqu’à son départ » dit la chronique qui ajoute :
«  Il n’y eut prince, seigneur, ni aucun officier principal qui ne reçut son présent, ou de pierreries ou de chaînes d’or, avec la médaille du roi d’Espagne. Elle eut soin de faire compter plusieurs coffres d’habits de guerre, linges et autres hardes pour l’usage de Monsieur, et lui fit compter, par son pagador, 100.000 patagons pour les frais de son voyage. Ainsi Monsieur se sépara avec beaucoup de satisfaction et de ressentiment des faveurs et bons traitements de cette princesse, après avoir pris congé de la reine sa mère, et reçu de toutes deux les souhaits d’un heureux voyage. Il fallut dire adieu à Doña Bianca, fille de Don Carlos Colonia, qui était une suivante de l’Infante de laquelle Monsieur s’était déclaré galant, pour s’assurer que sa passion ne le quitterait point, encore qu’il fut contraint de se séparer d’elle. Les autres filles du palais eurent aussi chacune leur galant français, de qui elles recevaient tous les jours les soins, mais c’était à l’espagnole, ne se voyant que par une jalousie fort haute, d’où il était très difficile de se faire entendre, et il n’y avait qu’aux jours d’audience qu’il était permis aux cavaliers d’entretenir leurs dames à la vue de l’infante et de toute la cour. »
Le palais et l’entourage d’Isabelle offraient tout le caractère d’une cour espagnole, on y parlait la langue, et on retrouvait toutes les traditions graves et religieuses puisées dans les souvenirs de l’Escurial. Comme à la cour de Madrid, les hommes se trouvaient rigoureusement séparés de l’habitation des femmes. L’atmosphère du palais sous les archiducs ressemblait à celle de l’un de ces anciens monastères de la Castille.


De Bruxelles, le duc d’Orléans se rendit d’abord à Trèves, où les troupes étaient réunies. il entra en France. Après une campagne militaire désastreuse et la défaite de Castelnaudary, le duc d’Orléans chercha, une seconde fois, refuge à Bruxelles. Il y arriva le 21 novembre. L’archiduchesse le reçut avec les plus grands témoignages d’affection. il fut logé au premier étage du palais, dans l’appartement de l’archiduc, décédé en 1621. Il reçut une pension mensuelle de 30.000 florins. Gaston ne trouva pas sa mère à Bruxelles. Sous prétexte d’indisposition, Marie était partie peu de jours avant pour Malines. La reine-mère ne désirait pas voir son fils, mécontente de sa conduite en France. Gaston lui rendit cependant visite à Malines. Ses tentatives pour la faire revenir à Bruxelles demeurèrent vaines. Elle persistait à vouloir se retirer à Gand. De retour à Bruxelles, dans le tourbillon des fêtes et des plaisirs, Gaston recommença à comploter contre son frère et Richelieu.

La seconde retraite de Gaston en Flandre donnait des sujets de craintes à Richelieu. L’héritier présomptif de la couronne était aux mains de l’ennemi et s’était engagé à servir sous son étendard. Comment lui faire la guerre au nom d’un roi dont la moitié de la France attendait la mort tous les six mois ?

Gaston cherchait à prouver aux Espagnols qu’il n’était pas aussi lâche que l’avait laissé croire l’affaire de Castelnaudary. Malgré les conseils de l’Infante, il voulu suivre l’armée espagnole qui s’avançait au secours de la ville de Rhinberg, assiégée par les Hollandais. Les Espagnols arrivèrent trop tard. La ville était tombée. Sans avoir pu montrer son courage, Gaston retourna à Bruxelles. Instable, il envoya l’un de ses proches au cardinal de Richelieu, pour tenter une réconciliation. Cette démarche maladroite ne servit qu’à éveiller les soupçons de la reine-mère, elle craignait qu’on ne fit un traité sans elle. Marie revint au plus vite à Bruxelles pour surveiller toutes les actions de son fils et peut-être même dans l’espoir secret de profiter de l’accommodement qui pourrait se faire.

En août 1633, finalement lassé des agissements de Charles IV, Louis XIII entra avec son armée en Lorraine. Lorsqu’il eut la confirmation du mariage de son frère, il voulut se saisir de son épouse, Marguerite de Lorraine. Celle-ci, déguisée en homme, visage barbouillé de suie, grande perruque noire sur la tête, s’échappa de Nancy. Elle traversa dans cet accoutrement les lignes françaises. En sûreté à Thionville, place forte espagnole, elle quitta son déguisement. Gaston, instruit de son arrivée, vint au devant d’elle à Namur. Le lendemain, ils partirent tous deux pour Bruxelles. Le 6 septembre 1633, l’infante se porta à leur rencontre, à une demi lieue de Bruxelles. Une haie d’honneur composée de bourgeois en armes les escorta. Le lendemain il y eut fête à la cour ; on y dansa au son des castagnettes et des guitares
Cette évasion réussie excita au plus haut point la colère du roi et de son ministre.


Implacable, Richelieu poursuivait toujours Marie avec le même acharnement. Le cardinal aimait mieux voir Marie à Bruxelles qu’à Paris. Il redoutait toujours de se trouver en présence de son ancienne bienfaitrice, ou de laisser réveiller en Louis un sentiment filial pour sa mère.
Tout cela n’empêchait pas les négociations entre Marie, Gaston et le cardinal. Toujours sans succès par ailleurs, chacun jouait ses propres cartes.
Sans cesse, Marie redoublait ses demandes d’autorisation de rentrer en France. Mais, la découverte de complots pour assassiner Richelieu vint fort à propos fournir un motif pour ne pas la laisser revenir.

Un gentilhomme champenois, Alpheston, avait été condamné à être rompu vif pour avoir tenter d’assassiner le cardinal. Deux soldats partis avec lui de Bruxelles l’avaient dénoncé. Un autre, Chavagnac, fut accusé d’avoir essayer d’empoisonner Richelieu au moyen d’une lettre ; un prêtre d’avoir voulu le faire mourir par des imprécations magiques prononcées au cours d’une messe. Tous furent exécutés. Mais ce qui importait davantage au cardinal, tous accusèrent le père Chanteloube et l’intendant de Marie, La Roche, de les avoir recrutés. Les deux intimes de Marie, furent condamnés par contumace à périr sur la roue et par la même occasion, Du Fargy, autre proche de Marie, fut condamné à être tiré par quatre chevaux et être écartelé vif pour crime de lèse-majesté. Richelieu persuada le roi qu’il ne pouvait y avoir réconciliation avec la reine-mère sans qu’elle ne se justifie des accusations portées contre elle et qu’elle ne livre les responsables des attentats. Bien que mère de Gaston, elle ne lui ressemblait pas sur ce point, elle n’abandonnait pas ses gens à Richelieu. Le retour de Marie dépendait de ces conditions, ce qui le rendait évidemment impossible.

Bien que son séjour soit agréable, Gaston, de son côté commençait à s’ennuyer, la France lui manquait. Au commencement de l’année suivante, Richelieu, voyant que ces négociations n’aboutissaient à aucun résultat, pressa l’annulation du mariage de Gaston.
La mort de l’archiduchesse Isabelle, arrivée le 1er décembre 1633, enleva à Gaston sa protectrice la plus dévouée et la plus sincère. Le marquis d’Aytona la remplaça provisoirement. Ni Marie, ni Gaston, ne se croyaient aussi assurés de sa bienveillance. Il est vrai que par leurs intrigues continuelles, l’un et l’autre fatiguaient de plus en plus leurs protecteurs espagnols. Marie était dominée par le père Chanteloube, Gaston, par son favori Puylaurens. Ces deux hommes se haïssaient. Tous les moyens leurs étaient bons pour faire éclater leur haine. Il y eut plusieurs duels entre les gentilshommes des deux camps. Le marquis d’Aytona en était arrivé à dire que les gens de la reine-mère et ceux de Monsieur lui causaient plus de soucis qu’il n’en avait à gouverner tous les sujets du roi. Dès lors la mère et le fils étaient mal ensemble. Pour s’éloigner de la cour, Marie prétexta une maladie. Elle quitta Bruxelles pour Gand.


Le décès de l’Infante faisait désirer plus que jamais à Gaston une réconciliation avec son frère. Les négociations entre Gaston et Richelieu recommencèrent. Il y avait lieu de croire que cette fois, on ne tarderait pas à s’entendre. Malheureusement, le 3 mai 1634, un événement imprévu vint rompre brusquement les pourparlers.
Entre huit et neuf du matin, Puylaurens, montait le grand escalier du palais. Un homme, auquel il n’avait prêté attention, lui tira un coup de mousquet et s’enfuit sans qu’on pût l’arrêter. Le tireur abandonnait son manteau et son arme recouverte de taffetas noir. Mais heureusement pour le favori, la charge trop réduite de poudre ne fut pas assez puissante pour chasser avec force les balles. On retrouva dans la cour, par la suite, vingt-cinq petites balles d’étain. Puylaurens n’eût qu’une légère blessure à la joue ; ses cheveux avaient amorti la décharge. Deux gentilshommes, qui l’accompagnaient, furent également blessés.
Gaston était alors dans son cabinet. Il jouait aux cartes avec le duc d’Elbeuf et Vieux-Pont. Au bruit, il courut l’épée à la main. Il croisa Puylaurens qui lui raconta ce qui venait d’arriver. Gaston fit aussitôt avertir le marquis d’Aytona. Il demanda justice contre le coupable. Le marquis assura hautement que ce crime ne resterait pas impuni, il y allait de l’honneur du roi et de ses ministres. Pour toute enquête, le marquis se borna à faire exposer, pendant trois jours, sur la grand’place, aux portes de l’hôtel de ville, le manteau de l’assassin et à faire arrêter deux pauvres soldats qu’on relâcha peu après. Le manteau ne fut pas reconnu et fut retiré. D’Aytona abandonna les recherches. Pour lui, l’affaire était claire : un règlement de compte entre Français.

Comme il arrive ordinairement dans ces sortes d’affaires, tout le monde fut accusé de ce crime. Les Espagnols, Paris, la princesse de Phalsbourg, ancienne maîtresse de Puylaurens et un ancien conseiller de Gaston, furent tour à tour accusés. Mais pour Gaston et Puylaurens, le père Chanteloube, conseiller de la reine-mère, était l’instigateur de crime. Ils appelèrent cette tentative d’assassinat la chanteloubade et accusèrent de complicité Marie. Celle-ci protesta, comme elle l’avait fait contre les accusations du cardinal et par le passé contre celles de l’assassinat de son mari. Elle ne gardait, disait-elle, pas d’assassins dans sa maison. Cette brouille ouverte entre le fils et la mère rendait encore plus pénible leur séjour à Bruxelles. Chacun de son côté négociait de plus en plus le retour en France. Exigeant toujours la remise des présumés coupables comme conditions au retour de Marie, Richelieu se montrait plus coulant avec Gaston. Mais celui-ci, capricieux, inconséquent et menteur, n’arrivait pas à se décider.
A suivre…

Louis XIII et Richelieu


vendredi 10 février 2012

Marie de Médicis et Gaston d'Orléans à Bruxelles - 1ere partie


La cour brûlée
                                                
En 1631, Bruxelles vit arriver la plupart des ennemis du cardinal de Richelieu, les ducs de Vendôme et de Bouillon, le seigneur de Sedan et la reine-mère Marie de Médicis, veuve d’Henri IV et mère Louis XIII.
 
Arrivée de Marie de Médicis au palais de Bruxelles
Le 13 août, accompagnée de l’Infante Isabelle, la reine-mère de France entrait solennellement dans Bruxelles.  Déjà, à quelques distances de la cité, rangés de chaque côté de la route, en haie d’honneur, dix enseignes de bourgeois et les cinq serments de Bruxelles lui présentaient les armes.  A la porte d’Anderlecht, trois cents bourgeois se tenaient sur les remparts.  Les bourgeois et les canonniers bruxellois saluèrent l’arrivée du cortège, par des salves de mousqueterie et d’artillerie.  A l’entrée de la ville, pour que le peuple puisse suivre la réception, les autorités avaient élevé un théâtre drapé d’écarlate.  Sur cette scène, symboliquement, l’amman et le magistrat présentèrent à Marie de Médicis, dans un bassin d’argent, la clef d’or de la ville.  Placés dans une tribune, à côté de ce théâtre, douze musiciens accompagnaient de leurs instruments la cérémonie.  Dans un discours, le pensionnaire Charles Schotte glorifia la reine-mère de France, cette Junon veuve de son Jupiter.  Ensuite, le cortège se remit en route au son de la cloche de l’église Saint-Nicolas.  Arrivé sur la grand’place, magnifiquement décorée et illuminée, le cortège fut salué par un feu de mousqueterie de trois cents autres bourgeois.  Au palais, le premier maître d’hôtel, d’Andelot, complimenta Marie de Médicis.  Le lendemain, le magistrat lui offrit le vin d’honneur dans de grands vases rouges à anses dorées, privilège que la ville n’offrait qu’aux souverains.  Les conseils du gouvernement, les cours de justice, la noblesse, vinrent ensuite saluer Marie.  Les jours suivants, la reine alla visiter les principaux édifices de la ville, Sainte-Gudule, la nouvelle église du Bon-Secours et Laeken.  Le couvent des Jésuites lui offrit de nombreux divertissements : jets d’eau, ballets, feux d’artifice, combats de bêtes sauvages. 

Marie de Médicis
                                                           
Par certains côtés, Bruxelles valait bien Paris. 

Naturellement, toutes ces prévenances étaient dictées par la politique.  Marie se trouvait être en même temps la belle-mère du roi d’Espagne, Philippe IV et la mère du roi de France, Louis XIII.  Entre les deux pays, les luttes commencées sous Charles-Quint continuaient encore.  C’était donc, pour l’Espagne, un énorme avantage que d’avoir chez elle, à Bruxelles, la reine-mère de France. 

En effet, dans une lettre datée du 30 septembre 1631, l’infante Isabelle écrit ceci à Philippe IV :

« La venue aux Pays-Bas de Marie de Médicis est toute spontanée…on est d’avis à Bruxelles que les circonstances présentes fournissent une occasion excellente de semer la discorde en France et d’immobiliser de la sorte Louis XIII.  A entendre Marie de Médicis et le duc, ils ont beaucoup de partisans en France ; de fait cela n’est pas prouvé…  »



Quelles étaient donc les raisons de la « venue spontanée » de Marie de Médicis chez l’ennemi ?

Depuis des années Richelieu s’était installé entre la roi et la reine-mère.  En 1630, Richelieu que l’on croyait, après la fameuse journée des dupes, disgracié, chassa, à sa manière – accusation, arrestation, condamnation - tous ses ennemis d’auprès du roi.  L’année suivante, le 31 janvier, en colère contre l’influence grandissante du ministre, le frère du roi, Gaston d’Orléans menaça publiquement Richelieu.  Puis, prudent, sans attendre, il se retira, chez lui, à Orléans.
Marie de Médicis et son second fils Gaston n’attendaient qu’une occasion pour évincer l’encombrant cardinal.  Le ministre prit les devants. 
Sur ses conseils, le 17 février 1631, Louis XIII, prétextant une chasse, pria sa mère de l’accompagner.  Sans se douter du piège, Marie se rendit à Compiègne.  Le 23, pendant le sommeil de sa mère, le roi se retira.  Il la laissa seule et prisonnière.



Les confidents de Marie, presque tous acquis au cardinal, l’effrayaient.  Ils lui racontaient que le but de Richelieu était de la tenir éloignée de la cour, de la renvoyer en Italie, enfin de se débarrasser une fois pour toute d’elle et de ses continuelles intrigues.  Ce qui était vrai.  Elle prit peur et se sauva en Flandre au grand contentement du ministre qui la laissa filer.

Gaston d’Orléans, inquiet de la tournure des événements, tenta alors de se rebeller.  L’armée royale commandée par Richelieu se porta à sa rencontre.  A son approche, il s’enfuit et se réfugia en Lorraine. 

Le départ de Marie et de Gaston, ses deux ennemis, augmenta considérablement la puissance du cardinal.  Il dirigeait seul le roi et de la main gauche, il tenait le sceptre. 

Marie de Médicis prit ainsi le chemin de Bruxelles accompagnée de la comtesse de Moret, du jeune marquis de Vardes et de quelques gentilshommes dévoués.  Les duchesses de Roannez et d’Elbeuf les rejoignirent bientôt.
 
Le roi apprit par son ministre la fuite de sa mère et sa colère contre elle fut très grande.

A présent, seul véritable maître à bord, Richelieu travaille à punir ses ennemis, la reine-mère, Gaston et leurs partisans.

Craignant que les décisions de justice du parlement soient contraires à sa volonté, Richelieu fit ériger de nouveaux tribunaux.  Le parlement se plaignit, le ministre menaça et tout devint silence.  Dès lors, les commissaires nommés par le cardinal exercèrent sa justice.  Des commissaires courtisans qui regarderont plus le pouvoir qu’ils n’écouteront les accusés.

Une chambre s’assembla pour faire le procès des proches et de tous ceux qui avaient suivi Marie de Médicis.  Deux intimes de la reine-mère, un astrologue et un médecin, Senelle et Duval, furent les premières victimes.  On les condamna aux galères.  Le marquis de la Vieuville, le duc de Roannez et la comtesse du Fargis furent condamnés à être décapités en effigie.  On confisqua les biens de la comtesse de Moret et de son fils, des marquis de Boissy et de Sourdéac, des ducs de Roannez, d’Elbeuf et de Bellegarde et du président Le Coigneux.  Le duc d’Elbeuf fut encore privé de son gouvernement de Picardie.  On le donna au duc de Chevreuse, dont l’épouse réconciliée avec le cardinal, obtint la permission de revenir à la cour.  Raccommodé avec cette duchesse, Richelieu n’avait-il pas envie de vaincre enfin les rigueurs et les dédains de la belle, en procurant un bienfait à son époux ?  D’une pierre, deux coups ! Le prince de Condé eut le gouvernement de la Bourgogne enlevé au duc de Bellegarde. 


Dans la même barque, le roi et le cardinal

A Bruxelles, Marie ne restait pas inactive.  Elle se jeta dans une guerre de protestations contre les mauvais procès faits à ses gens.  Elle publia des déclarations.  Elle envoya des manifestes au parlement de Paris qui se taisait.  Elle écrivit au roi, une longue lettre dans laquelle « elle protestoit que son départ n’étoit pas volontaire, mais nécessaire par les persécutions incessantes du cardinal. »

Le comte de Moret, fils naturel d’Henri IV, et le duc d’Elbeuf vinrent aussi la rejoindre à Bruxelles.

Isabelle fit les honneurs de la Flandre à la reine-mère.  A Anvers, l’archiduchesse voulut que Marie donnât sa bénédiction à la flotte qui devait combattre les Hollandais.  Ce qui ne portât pas bonheur à cette flotte qui peu après fut totalement défaite. Cela n’empêcha pas l’Espagne de verser à Gaston d’Orléans, 325.000 florins pour la subsistance de sa maison et la levée de troupes contre Louis XIII. 

Gaston, toujours en Lorraine, qui voyait l’impossibilité du duc à l’aider dans ses projets de guerre, pensait plus que jamais à traiter directement avec l’Espagne.  Pour cela, il avait envoyé son confident Puy-Laurens à Bruxelles. Celui-ci devait s’entendre avec les Espagnols et ménager pour Gaston, une retraite en Flandre, dans le cas où il se verrait forcé de quitter la Lorraine. 

Richelieu le tenait à l’œil. 

Aussi, Louis XIII sous prétexte de protéger le duc de Lorraine de ses ennemis, lui envoya un ultimatum : le duc ne devait donner ni retraite, ni assistance à Monsieur le duc d’Orléans et à la reine-mère.  Obligé dès lors de quitter la Lorraine, Gaston se maria en toute hâte, presque clandestinement avec Marguerite, la fille de son hôte.  Ce mariage, non autorisé, déplut beaucoup au roi et à Richelieu.



Gaston arriva à Bruxelles le 28 janvier 1632.  L’infante lui fit un accueil des plus gracieux.  Toute la cour vint devant lui.  On y remarqua le marquis d’Ayetona, Don Gonzalez de Cordua et le duc de Veraguaz.  Gaston fut logé dans le principal appartement du palais, des tables y étaient préparées pour lui et toute sa suite, servies par les officiers de l’Infante.

Pendant que, dans la capitale des Pays-Bas, les fêtes se succédaient dans la joie et l’insouciance, à Paris on vivait dans l’épouvante.  La vengeance de Richelieu s’abattait partout.  Malgré les protestations de Marie et de Gaston, les procès se succédaient et les condamnations à mort tombaient comme des couperets sur les familiers des deux exilés.    
Marilly pour corruption, la Vieuville pour avoir suivi Monsieur en Lorraine, le duc de Rouannes, pour fausse monnaie, un pauvre soldat nommé Levenant, pour avoir distribué des placards et libelles de Monsieur….

Richelieu, un tout petit peu hypocrite, dit au sujet des condamnations : « Je n’aurais pas cru que l’affaire en dût aller jusque-là ; mais apparemment les juges (entendez les commissaires) ont des lumières (entendez le cardinal) que les autres n’ont pas. »

Pendant ce temps, à Bruxelles, fêté par les Espagnols, Gaston dansait.  Dépensier et insouciant, il laissait sa mère engager, à Amsterdam, ses bijoux  et traiter avec l’Espagne, l’empereur et le duc de Lorraine, qui tous espéraient que cette guerre civile promise par les deux fugitifs ferait diversion et empêcherait Louis XIII de se joindre au roi de Suède, Gustave-Adolphe, pour combattre la maison d’Autriche. 


A suivre…