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Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



vendredi 10 février 2012

Marie de Médicis et Gaston d'Orléans à Bruxelles - 1ere partie


La cour brûlée
                                                
En 1631, Bruxelles vit arriver la plupart des ennemis du cardinal de Richelieu, les ducs de Vendôme et de Bouillon, le seigneur de Sedan et la reine-mère Marie de Médicis, veuve d’Henri IV et mère Louis XIII.
 
Arrivée de Marie de Médicis au palais de Bruxelles
Le 13 août, accompagnée de l’Infante Isabelle, la reine-mère de France entrait solennellement dans Bruxelles.  Déjà, à quelques distances de la cité, rangés de chaque côté de la route, en haie d’honneur, dix enseignes de bourgeois et les cinq serments de Bruxelles lui présentaient les armes.  A la porte d’Anderlecht, trois cents bourgeois se tenaient sur les remparts.  Les bourgeois et les canonniers bruxellois saluèrent l’arrivée du cortège, par des salves de mousqueterie et d’artillerie.  A l’entrée de la ville, pour que le peuple puisse suivre la réception, les autorités avaient élevé un théâtre drapé d’écarlate.  Sur cette scène, symboliquement, l’amman et le magistrat présentèrent à Marie de Médicis, dans un bassin d’argent, la clef d’or de la ville.  Placés dans une tribune, à côté de ce théâtre, douze musiciens accompagnaient de leurs instruments la cérémonie.  Dans un discours, le pensionnaire Charles Schotte glorifia la reine-mère de France, cette Junon veuve de son Jupiter.  Ensuite, le cortège se remit en route au son de la cloche de l’église Saint-Nicolas.  Arrivé sur la grand’place, magnifiquement décorée et illuminée, le cortège fut salué par un feu de mousqueterie de trois cents autres bourgeois.  Au palais, le premier maître d’hôtel, d’Andelot, complimenta Marie de Médicis.  Le lendemain, le magistrat lui offrit le vin d’honneur dans de grands vases rouges à anses dorées, privilège que la ville n’offrait qu’aux souverains.  Les conseils du gouvernement, les cours de justice, la noblesse, vinrent ensuite saluer Marie.  Les jours suivants, la reine alla visiter les principaux édifices de la ville, Sainte-Gudule, la nouvelle église du Bon-Secours et Laeken.  Le couvent des Jésuites lui offrit de nombreux divertissements : jets d’eau, ballets, feux d’artifice, combats de bêtes sauvages. 

Marie de Médicis
                                                           
Par certains côtés, Bruxelles valait bien Paris. 

Naturellement, toutes ces prévenances étaient dictées par la politique.  Marie se trouvait être en même temps la belle-mère du roi d’Espagne, Philippe IV et la mère du roi de France, Louis XIII.  Entre les deux pays, les luttes commencées sous Charles-Quint continuaient encore.  C’était donc, pour l’Espagne, un énorme avantage que d’avoir chez elle, à Bruxelles, la reine-mère de France. 

En effet, dans une lettre datée du 30 septembre 1631, l’infante Isabelle écrit ceci à Philippe IV :

« La venue aux Pays-Bas de Marie de Médicis est toute spontanée…on est d’avis à Bruxelles que les circonstances présentes fournissent une occasion excellente de semer la discorde en France et d’immobiliser de la sorte Louis XIII.  A entendre Marie de Médicis et le duc, ils ont beaucoup de partisans en France ; de fait cela n’est pas prouvé…  »



Quelles étaient donc les raisons de la « venue spontanée » de Marie de Médicis chez l’ennemi ?

Depuis des années Richelieu s’était installé entre la roi et la reine-mère.  En 1630, Richelieu que l’on croyait, après la fameuse journée des dupes, disgracié, chassa, à sa manière – accusation, arrestation, condamnation - tous ses ennemis d’auprès du roi.  L’année suivante, le 31 janvier, en colère contre l’influence grandissante du ministre, le frère du roi, Gaston d’Orléans menaça publiquement Richelieu.  Puis, prudent, sans attendre, il se retira, chez lui, à Orléans.
Marie de Médicis et son second fils Gaston n’attendaient qu’une occasion pour évincer l’encombrant cardinal.  Le ministre prit les devants. 
Sur ses conseils, le 17 février 1631, Louis XIII, prétextant une chasse, pria sa mère de l’accompagner.  Sans se douter du piège, Marie se rendit à Compiègne.  Le 23, pendant le sommeil de sa mère, le roi se retira.  Il la laissa seule et prisonnière.



Les confidents de Marie, presque tous acquis au cardinal, l’effrayaient.  Ils lui racontaient que le but de Richelieu était de la tenir éloignée de la cour, de la renvoyer en Italie, enfin de se débarrasser une fois pour toute d’elle et de ses continuelles intrigues.  Ce qui était vrai.  Elle prit peur et se sauva en Flandre au grand contentement du ministre qui la laissa filer.

Gaston d’Orléans, inquiet de la tournure des événements, tenta alors de se rebeller.  L’armée royale commandée par Richelieu se porta à sa rencontre.  A son approche, il s’enfuit et se réfugia en Lorraine. 

Le départ de Marie et de Gaston, ses deux ennemis, augmenta considérablement la puissance du cardinal.  Il dirigeait seul le roi et de la main gauche, il tenait le sceptre. 

Marie de Médicis prit ainsi le chemin de Bruxelles accompagnée de la comtesse de Moret, du jeune marquis de Vardes et de quelques gentilshommes dévoués.  Les duchesses de Roannez et d’Elbeuf les rejoignirent bientôt.
 
Le roi apprit par son ministre la fuite de sa mère et sa colère contre elle fut très grande.

A présent, seul véritable maître à bord, Richelieu travaille à punir ses ennemis, la reine-mère, Gaston et leurs partisans.

Craignant que les décisions de justice du parlement soient contraires à sa volonté, Richelieu fit ériger de nouveaux tribunaux.  Le parlement se plaignit, le ministre menaça et tout devint silence.  Dès lors, les commissaires nommés par le cardinal exercèrent sa justice.  Des commissaires courtisans qui regarderont plus le pouvoir qu’ils n’écouteront les accusés.

Une chambre s’assembla pour faire le procès des proches et de tous ceux qui avaient suivi Marie de Médicis.  Deux intimes de la reine-mère, un astrologue et un médecin, Senelle et Duval, furent les premières victimes.  On les condamna aux galères.  Le marquis de la Vieuville, le duc de Roannez et la comtesse du Fargis furent condamnés à être décapités en effigie.  On confisqua les biens de la comtesse de Moret et de son fils, des marquis de Boissy et de Sourdéac, des ducs de Roannez, d’Elbeuf et de Bellegarde et du président Le Coigneux.  Le duc d’Elbeuf fut encore privé de son gouvernement de Picardie.  On le donna au duc de Chevreuse, dont l’épouse réconciliée avec le cardinal, obtint la permission de revenir à la cour.  Raccommodé avec cette duchesse, Richelieu n’avait-il pas envie de vaincre enfin les rigueurs et les dédains de la belle, en procurant un bienfait à son époux ?  D’une pierre, deux coups ! Le prince de Condé eut le gouvernement de la Bourgogne enlevé au duc de Bellegarde. 


Dans la même barque, le roi et le cardinal

A Bruxelles, Marie ne restait pas inactive.  Elle se jeta dans une guerre de protestations contre les mauvais procès faits à ses gens.  Elle publia des déclarations.  Elle envoya des manifestes au parlement de Paris qui se taisait.  Elle écrivit au roi, une longue lettre dans laquelle « elle protestoit que son départ n’étoit pas volontaire, mais nécessaire par les persécutions incessantes du cardinal. »

Le comte de Moret, fils naturel d’Henri IV, et le duc d’Elbeuf vinrent aussi la rejoindre à Bruxelles.

Isabelle fit les honneurs de la Flandre à la reine-mère.  A Anvers, l’archiduchesse voulut que Marie donnât sa bénédiction à la flotte qui devait combattre les Hollandais.  Ce qui ne portât pas bonheur à cette flotte qui peu après fut totalement défaite. Cela n’empêcha pas l’Espagne de verser à Gaston d’Orléans, 325.000 florins pour la subsistance de sa maison et la levée de troupes contre Louis XIII. 

Gaston, toujours en Lorraine, qui voyait l’impossibilité du duc à l’aider dans ses projets de guerre, pensait plus que jamais à traiter directement avec l’Espagne.  Pour cela, il avait envoyé son confident Puy-Laurens à Bruxelles. Celui-ci devait s’entendre avec les Espagnols et ménager pour Gaston, une retraite en Flandre, dans le cas où il se verrait forcé de quitter la Lorraine. 

Richelieu le tenait à l’œil. 

Aussi, Louis XIII sous prétexte de protéger le duc de Lorraine de ses ennemis, lui envoya un ultimatum : le duc ne devait donner ni retraite, ni assistance à Monsieur le duc d’Orléans et à la reine-mère.  Obligé dès lors de quitter la Lorraine, Gaston se maria en toute hâte, presque clandestinement avec Marguerite, la fille de son hôte.  Ce mariage, non autorisé, déplut beaucoup au roi et à Richelieu.



Gaston arriva à Bruxelles le 28 janvier 1632.  L’infante lui fit un accueil des plus gracieux.  Toute la cour vint devant lui.  On y remarqua le marquis d’Ayetona, Don Gonzalez de Cordua et le duc de Veraguaz.  Gaston fut logé dans le principal appartement du palais, des tables y étaient préparées pour lui et toute sa suite, servies par les officiers de l’Infante.

Pendant que, dans la capitale des Pays-Bas, les fêtes se succédaient dans la joie et l’insouciance, à Paris on vivait dans l’épouvante.  La vengeance de Richelieu s’abattait partout.  Malgré les protestations de Marie et de Gaston, les procès se succédaient et les condamnations à mort tombaient comme des couperets sur les familiers des deux exilés.    
Marilly pour corruption, la Vieuville pour avoir suivi Monsieur en Lorraine, le duc de Rouannes, pour fausse monnaie, un pauvre soldat nommé Levenant, pour avoir distribué des placards et libelles de Monsieur….

Richelieu, un tout petit peu hypocrite, dit au sujet des condamnations : « Je n’aurais pas cru que l’affaire en dût aller jusque-là ; mais apparemment les juges (entendez les commissaires) ont des lumières (entendez le cardinal) que les autres n’ont pas. »

Pendant ce temps, à Bruxelles, fêté par les Espagnols, Gaston dansait.  Dépensier et insouciant, il laissait sa mère engager, à Amsterdam, ses bijoux  et traiter avec l’Espagne, l’empereur et le duc de Lorraine, qui tous espéraient que cette guerre civile promise par les deux fugitifs ferait diversion et empêcherait Louis XIII de se joindre au roi de Suède, Gustave-Adolphe, pour combattre la maison d’Autriche. 


A suivre…


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