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Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



mercredi 25 janvier 2012

Le square du Petit Sablon

Rue de la régence, église Notre-Dame-des-Victoires (du Sablon)
                                            
La rue de la régence, grande artère bruyante et encombrée, relie la place royale au palais de justice.  En 1827, elle s’arrêtait  au niveau de l’église de Notre-Dame-des-Victoires (du Sablon).  1872, véritable révolution d’urbanisme dans tout ce quartier, d’un trait, on perce le dernier tronçon qui va de l’église jusqu’à l’actuelle place Poelaert.  C’est alors que le grand portail de l’édifice religieux fut dégagé et que naquit par-delà l’église et de l’autre côté de la rue, sur un terrain vague, jadis cimetière, un square tout neuf.  Inauguré le 20 juillet 1890, ce parc dit du Petit Sablon groupe un ensemble de statues racontant l’histoire du pays au XVIe siècle.

Ce ravissant petit square représente une halte de choix pour peu que le soleil soit de la partie.  Son implantation à côté de Notre-Dame-des–Victoires n’est pas accidentel, il est voulu.  Une idée se cache ici.  Pour bien comprendre l’esprit de ce parc, il faut se plonger dans le XIXe siècle.

Ce siècle-là avait une relation assez particulière avec l’histoire.  Influencé par le romantisme et les nationalismes naissants, le monde d’alors redécouvrit le passé. Il se servit de lui comme référent de société.  La grande question posée était : Qui sommes-nous ?  Cet intérêt pour le passé ne consistait pas uniquement en une soif scientifique ou ethnographique.  Certains l’employèrent comme miroir du présent, comme un choix de société.  Le débat du genre de société dans laquelle on voulait vivre était lancé.

A ce moment-là, dans la jeune Belgique, la politique opposait libéraux et catholiques.  Les autres n’avaient à dire où n’existaient pas, ce qui revient au même.  Le système électoral belge était alors censitaire.  Et chacun  voyait l’histoire à sa façon. 
Les catholiques, grands conservateurs, aimaient le moyen âge. Ils présentaient cette  période de dix siècles dans laquelle, d’après eux, rien n’avait changé, comme une période de stabilité sociale.  Grâce à la religion, toujours selon eux, rien d’important ou de remarquable n’était venu perturbé la continuité de la société.  Un vrai paradis que le moyen âge à les entendre.  
Quant aux  libéraux, progressistes, ils aimaient le XVIe siècle, l’origine de toutes les révolutions.  Les Gueux s’empoignaient alors avec l’occupant espagnol, les Protestants volaient dans les plumes des Catholiques, et les sciences modernes bousculaient les certitudes de l’Eglise.  A les écouter, que du progrès !

Néo-gothique contre Néo-renaissance flamande. Chacun possédait ses historiens, ses héros, ses architectes et ses artistes.

De nos jours, le résultat de ces deux visions politiques du XIXe siècle est encore visible.

Figures centrales du parc, unis pour l’éternité, les comtes d’Egmont et de Hornes marchent à l’échafaud.  Autour d’eux, en demi-cercle,  Scientifiques, Artistes, Révolutionnaires et Résistants, tous du XVIe siècle, font cortège.  Tournant le dos, autour du parc, dessinées par le peintre Xavier Mellery, quarante-huit statuettes représentent les métiers, la classe économique moyenne du moyen âge.  Les soixante statues et statuettes offrent une photo de groupe, le XVIe siècle vu par les libéraux.  Il faut ajouter que les promoteurs du projet ont été quelque peu trop enthousiastes.  Emportés par leur élan, ils commirent quelques anachronismes dans la représentation des métiers.  Certains n’existaient pas encore au XVIe siècle, d’autres se trouvaient, entre deux chaises, en voie de disparition.  Le foulon par exemple très important pour l’artisanat du textile, n’a pas atteint le XVIe s.  Le chapelier, reçut une place, mais trop moderne pour parader entre ses collègues artisans, beaucoup plus anciens.  Mais qu’importe, elles furent toutes financées par les groupes professionnels concernés.  La ville ne financera que le quart de la réalisation de l’ensemble.


Egmont et Hornes ont visité d’autres endroits avant de se retrouver ici.  Pour les voyages de ces messieurs, trois zélés bourgmestres libéraux sont intervenus.

En 1568, pendant les troubles contre le pouvoir de Philippe II, les Espagnols, littéralement, diminuèrent d’une tête, les comtes d’Egmont et de Hornes sur la grand’place de Bruxelles.  Après 1830, l’académie des sciences trouva ces deux « farouches résistants » parfaits pour leur ériger un monument commémoratif.  Et pourquoi pas à l’endroit où ils furent exécutés ?  Les libéraux ne furent pas d’accord.  Le bourgmestre Charles de Brouckère, précurseur du mouvement radical, ne voulut rien savoir ni entendre parler d’Egmont et de Hornes.  Pas assez révolutionnaires jugea-t-il.  Trop mous, le genre attentiste, trop prudents, pas de vrais résistants contre le très catholique Philippe II.  Quand plus tard, Anspach, celui du boulevard, s’attacha l’écharpe tricolore autour de la taille, on entendit une autre son de cloche.  Contrairement à De Brouckère, celui-là célébra les deux comtes.  Ils étaient selon ses principes des résistants très convenables, deux parfaites images pour manuels scolaires.  En comparaison, pour lui, Victor Hugo était un dangereux activiste.  Grâce à ce magistrat, finalement les deux  aristocrates atterrirent en 1864, sur la grand’place, devant la maison du roi et face à l’hôtel de ville.  Quand le très populaire libéral Charles Buls - onze Charel, comme les Bruxellois l’appelaient familièrement - devint bourgmestre de la capitale, il restaura avec soin et érudition la grand place.  Il y fit reconstruire selon des plans anciens, la maison du roi.  Lors de ces travaux de rénovation, furieux radical aussi, notre Charles profita de l’occasion offerte pour éjecter les deux comtes de l’endroit où Anspach les avait placé.  Ils se retrouvèrent, exilés, dans ce parc, création du même Charles.  Une histoire qui se termine bien ?  Non, ce serait compter sans d’autres radicaux.  Les deux personnages reçurent de la compagnie.  Les glorieux seigneurs durent partager les lieux avec dix figures illustres du XVIe s.

Le parc
                                                  
Parmi les dix statues qui entourent les deux nobles, on peut reconnaître Mercator et Ortélius, deux grands géographes-cartographes.  Cornelis  Floris de Vriendt, l’architecte de l’hôtel de ville d’Anvers, un peintre de la cour, Van Orley, qui donna asile à un protestant et qui en fut puni, trois importants révolutionnaires hollandais – Guillaume d’Orange,  Henri de Bréderode et Marnix de Sainte-Aldegonde –  A première vue la présence de ces trois personnages semble ici assez étrange.  En 1830, les premiers Belges chassèrent du pays leurs voisins hollandais et voilà que, soixante ans plus tard, trois Hollandais, figures de proue de leur pays, reçoivent une place d’honneur au Petit Sablon.  Le trio mérite cette place moins à leur origine hollandaise qu’à leur importance pour Bruxelles et à leur vrai engagement révolutionnaire contre l’oppression. 


Guillaume de Nassau, prince d'Orange
 
Le square est un bel exemple de l’un des plus important et typique caractère de Bruxelles - le compromis à la belge - Pas seulement un compromis entre deux courants libéraux, mais aussi un compromis entre libéraux et catholiques. 

C’est en 1878 que la ville accepte les plans de l’architecte libéral Beyaert, un square « conçu dans le style de l’époque à laquelle appartient l’église du sablon ».

Le square occupe le côté gauche de l’église, la rue les sépare.  Celui qui n’a pas les yeux dans la poche, décrypte le parc comme un temple de la libre pensée.  Il est bâti suivant la logique du portail, de la nef, du chœur, avec les chapelles (les dix statues) et son autel (Egmont et Hornes).  Il faut lire ce parc comme un manifeste politique du fameux compromis à la belge.

Liberté civile – liberté religieuse – indépendance


La "Pensée" de la révolution
L’architecte des lieux, Henri Beyaert, décédé en 1894, est incarné par la première des quarante-huit statuettes, sous les traits de l’artisan du métier des quatre couronnés. On le reconnaîtra sans peine, un compas dans la main droite, un plan déroulé dans la main gauche.

A remarquer, souvenir des bailles du palais des ducs de Brabant, la balustrade en fer forgé, aux motifs variés, qui entoure le parc.  Du style néo-renaissance flamande comportant cependant quelques petits détails « art nouveau », elle est l’œuvre d’Hankar, autre libéral, élève de Beyaert et ami de Victor Horta.  Reliant les grilles, des colonnettes gothiques en pierre, toutes différentes, supportent chacune l’une des quarante-huit élégantes statuettes de bronze.

Avec ce parc, l’idéal progressiste du style néo renaissance flamand a vécu.  A présent, il va s’effacer devant un nouveau discours  moderniste, politique et artistique, l’Art Nouveau.

Balustrade, détail

 








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