Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).
Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.
Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.
Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…
« …c’était au temps où Bruxelles… »
vendredi 13 janvier 2012
Les premiers locataires du Lambermont, suite et fin
Le soir du vendredi 4 avril des tracts incendiaires circulèrent dans la ville. On y peignait les orangistes comme des ennemis de la nation. La phrase finale ne laissait planer aucun doute, elle prônait une « guerre d’extermination aux ennemis de la patrie » . Le texte était suivi des noms inscrits sur la liste publiée dans « Le lynx ».
Le 6 avril, on joignit le geste à la parole. Dirigés par quelques individus, un groupe de canailles pilla systématiquement les habitations des signataires bruxellois les plus en vue. Rapidement rejoint par d’autres, cette foule commença par saccager les locaux de la rédaction du « Lynx ». Rue de la loi, le mobilier de l’hôtel du prince de ligne fut mis en pièces. Sans bouger, le roi assista au pillage. La troupe, qui stationnait sur le boulevard du régent, n’empêcha pas les pillards de ravager pendant deux heures et demie l’hôtel de Trazegnies. Les de Trazegnies s’étaient réfugiés à l’ambassade britannique. Plus tard, cette multitude donna l’assaut à la maison du juriste Hoorick, rue du sablon. Au total, seize demeures de patriciens bruxellois subirent de sérieux dommages durant ces expéditions punitives.
Le gouvernement et les autorités de la ville de Bruxelles avaient visiblement fermé les yeux et failli à leur tâche du maintien de l’ordre. Comme il fallait des coupables, les autorités désignèrent les exilés français. On les expulsa. Le gouvernement profita de cet « incident » pour faire voter une loi qui réprimait toute manifestation publique favorables à la maison d’Orange – Nassau. Chercher à qui profite le crime.
Comme les autres victimes, le marquis de Trazegnies ne tarda pas à réagir. Dix jours après les événements, il fit procéder, sous la direction de maître Duvigneaud, avocat à la cour d’Appel de Bruxelles, assisté du directeur des ventes de la ville, d’un maître vitrier et d’un maître ébéniste, à une estimation des dégâts. Ils constatèrent que presque toutes les vitres, tous les miroirs et tous les lustres étaient brisés. Les portes, les meubles, les volets et les parquets sérieusement endommagés. Les rideaux et les tapis étaient déchirés ou souillés. Les horloges à balancier, les candélabres et les lampadaires étaient hors d’usage. Les services, composés en grande partie d’assiettes de porcelaine de Sèvres et de Saxe et de verre de cristal, ainsi que les vases d’apparat étaient réduits en morceaux. La cuisine, y compris les casseroles et les poêles étaient gravement abîmées. Le piano, les tableaux complètement anéantis. L’inventaire des dégâts se poursuivait par une longue liste d’objets volés, dont quatre colliers de perles, des boucles d’oreilles en topaze et en diamant, des bijoux en or et en argent, 880 bouteilles de vin, de l’argenterie, de nombreux objets d’art et archéologiques etc…
Le marquis intenta un procès à la ville de Bruxelles. Le verdict fut rendu le 25 mai 1835 par le tribunal de première instance. La ville fut reconnue coupable. La loi du 10 vendémiaire an IV, stipulait que la commune était responsable des dégâts causés aux personnes et aux biens privés lors d’un rassemblement. L’arrêt était motivé par le fait que les habitants de la cité étaient collectivement responsables des actes commis. Ce jugement fut confirmé par la cour d’appel.
La cour de cassation ayant déjà cassé de tels jugement, l’avocat du marquis, prudent, adressa une lettre de conciliation à la ville de Bruxelles. Cette tentative de rapprochement fut loin d’avoir le résultat escompté. Avec la lettre et les arrêts de la cour de cassation, la ville détenait les meilleures cartes. Le bourgmestre répondit sèchement que les propositions seraient examinées par une commission. Six ans plus tard, cette commission transmit ses conclusions au conseil communal. Toutes les sommes accordées au marquis par la justice furent fortement diminuées. Le marquis dut se contenter d’une somme dérisoire. La ville en voulait au marquis. Elle chercha les moyens de lui rendre la vie impossible. Elle trouva dans les dispositions initiales du cahier des charges imposées au siècle précédent à Pruvost de quoi lui rendre la vie insupportable. La porte cochère et trois cheminées de sa demeure, dépassaient la hauteur maximum prescrite dans les conditions de construction rédigé en 1783. Le marquis reçut donc un courrier de l’administration.
Outre ses problèmes avec l’administration, le marquis connut à cette époque des drames familiaux. Sa fille cadette mourut en couche, l’aînée fut déclarée débile par les médecins et sa femme décéda. Pendant tout le temps que dura la maladie de la marquise, le roi Léopold Ier se fit informer quotidiennement de son état de santé. Lors de ses funérailles, on remarqua dans le cortège, une calèche occupée un représentant de la cour.
Ce rapprochement conduisit à un entretien entre Léopold et le marquis. A la suite de cette rencontre, de Trazegnies se réconcilia finalement avec la réalité du pays. Il faut reconnaître qu’après la signature du traité de paix entre la Hollande et ses anciennes provinces, l’orangisme avait perdu sa raison d’être.
Le marquis était alors trop âgé pour jouer un rôle politique. Il s’éteignit le 16 décembre 1849, dans son hôtel. Il avait, en 87 ans, vécu l’ancien régime autrichien, la révolution française, l’empire, le retour des dix-sept provinces et enfin la naissance d’un nouveau pays. Son gendre, le prince de Ligne entra un moment, dans la carrière diplomatique. Il fut élu sénateur et présida ensuite le sénat jusqu’en 1878. Alexandre, son seul fils, se tint à l’écart de la vie publique. Il ne se maria jamais et mourut sans descendance.
L’hôtel bruxellois échut par testament à sa fille. Ni elle ni son frère n’allaient y résider. La maison fut louée à Joanna Maria Martins de Sousa, veuve du maréchal brésilien Joachim d’Oliveira et sœur d’un diplomate brésilien en poste à Bruxelles.
A partir de 1852, les autorités communales envisagèrent avec plus d’insistance encore des démolitions à l’arrière de l’hôtel. L’intérêt général exigeait la disparitions du bâtiment arrière qui rétrécissait la voie publique.
Evidemment, les de Trazegnies s’opposèrent à ce projet. Cette atteinte à leur droit de propriété signifiait une perte de valeur pour l’immeuble. De plus, le passage était suffisamment large pour ne causer aucun préjudice à la population. La ville, comme on s’en doute, maintint son point de vue. Et lorsque l’Etat souhaita également, dans l’intérêt général, apporter des modifications à la propriété de Trazegnies, les jours de l’hôtel en tant que résidence privée furent comptés.
Au début de l’année 1860, le ministère de l’intérieur entreprit les démarches nécessaires pour acheter l’hôtel. Les autorités avaient besoin de locaux pour assurer l’extension des services publiques. Les frais de loyer grevaient lourdement le budget. L’Etat achetait de préférence autour du parlement. Des arguments esthétiques furent aussi avancés en faveur de l’achat de l’hôtel. Enfin un tel achat répondait parfaitement au plan de la ville de Bruxelles, qui étaient de réunir les jardins de la demeure de Tazegnies et du palais du prince d’Orange afin de les transformer en un parc public. En 1859, il fut décidé d’aménager le palais en centre d’expositions et de concerts. L’achat de l’immeuble de Trazegnies faisait partie de ce plan d’ensemble.
Les de Trazegnies furent discrètement averti par le ministère de l’intérieur des projets. Placé devant le fait accompli, la famille dans le but d’éviter une expropriation pour cause d’utilité publique, décidèrent de vendre le bien à l’Etat. Le contrat de vente fut signé le 19 mai 1860, devant le notaire Norbert Vergote. Le contrat de location de madame de Sousa fut repris par l’Etat. Elle y demeura jusqu’à 1863, date à laquelle l’Etat entra définitivement en possession de l’immeuble qu'avait fait construire Pruvost.
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