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Louis XI |
Malgré l’étude, la chasse, les joyeux propos, le dauphin ne peut rester étranger aux affaires de la Bourgogne, il aime trop l’intrigue pour se contenter d’un rôle passif. Alors, il l’utilise son temps libre en se trouvant des créatures. Pour se faire des partisans, Louis s’intéresse aussi bien aux gens de basses conditions qu’aux grands seigneurs, il préfère même à ceux-ci les premiers. C’est parmi le populaire qu’il trouve les instruments les plus dociles. Le peuple a toujours eu une certaine vénération pour les « Grands ». Lorsque Louis en est dégoûté ou après s’en être servi, il peut briser ces petites gens sans danger. A jeter après usage, en somme.
Olivier de la Marche : « où il savoit nobles hommes de renommée, il les achetoit à poids d’or, et avoit très-bonne condition. Mais il fut homme soupçonneux, et légèrement attroyoit gens, légèrement il les reboutoit de son service ; mais il estoit large et abandonné, et entretenoit par sa largesse ceux de ses serviteurs dont il vouloit servir, et aux autres donnoit congé légèrement, et leur donnoit le bond à la guise de France. ».
Ainsi, lorsqu’il rencontre, un homme de quelque capacité, parmi les seigneurs ou les domestiques que le duc met à sa disposition, il s’empresse de le gagner, soit par des flatteries, soit par de l’argent. Avare pourtant, Il dépense dans ce genre d’affaires des sommes assez considérables. De toutes façons c’est de l’argent bourguignon, alors pourquoi se gêner. Malgré le soutien financier de Philippe, la bourse de Louis est souvent vide. Il contracte même des dettes pour lesquelles, naturellement le duc donne sa garantie. Mais ces moyens pour se concilier des partisans sont infaillibles.
Il est clair que la réussite ou la faillite d’un Etat dépend de la qualité de ses serviteurs. Seulement, un serviteur de valeur, habile et fidèle, cela a toujours un prix. Qu’en est-il à la cour de Bourgogne ?
Comme on pourrait le croire, la très honorable fonction d’écuyer panetier du duc n’enrichit pas le porteur du titre. En 1447, l’écuyer panetier Olivier de la Marche reçoit trois sous par jour, c’est-à-dire le même salaire que les valets de fruits, de torches ou d’étables. C’est bien peu, lorsque l’on sait qu’il a des responsabilités et qu’il accompagne des ambassades. Georges Chastellain, qui exerce la même fonction et que le duc envoie en missions, parfois secrètes, doit s’endetter pour pouvoir les mener à bien.
Chastellain au duc de Bourgogne : « …Tu as le fardeau de l’honneur du monde entre tes mains, et l’autorité de pouvoir faire ou défaire ta propre bénédiction. Tu dois avoir grand soin comment tu tiendras en estat l’ancien édifice que tes pères ont fondé…si Dieu plaist, tu ne frustreras point leur expectation par petit entendre…Tu dois à chacun vouloir satisfaire et traiter chacun en nature de noble prince ; gagner cœurs et courages par vertu ; les sujets par bonne gouverne ; les serviteurs par recognoissance…Ne fait à ignorer que la seule et souveraine félicité des princes pend en la félicité de leurs sujets… »
Il semble que le duc ne la pas entendu, mais Louis XI, roi de France l’avait bien compris. L’histoire lui a donné raison.
C’est donc principalement parmi les seigneurs et les domestiques de la maison de Bourgogne que le dauphin s’applique à se faire une clientèle. A partir de 1461, époque où Louis monte sur le trône, on voit presque tous les personnages de la cour de Bourgogne quitter leur ancien maître pour passer à son service. Par après, Louis XI ne négligera pas non plus ceux qui étaient encore restés fidèles au duc. En langage moderne cela s’appelle la fuite des cerveaux, car mieux payés ailleurs.
Homme du peuple, Olivier le Dain, son barbier, né à Tielt en Flandre, ne lui coûte pas cher à gagner. Plus tard, il fera de ce Flamand, un ministre et un ambassadeur. Une conquête beaucoup plus importante sont les Croy. Aussi s’applique-t-il à les séduire, et il y parvient.
Pendant que Louis s’occupe à sa manière des affaires de Bourgogne, les menaces de guerre avec la France ne cessent pas. La cause ? on s’en doute : la présence du dauphin auprès de Philippe. Alors d’interminables négociations accaparent les deux souverains. Ce ne sont qu’ambassades sur ambassades, correspondances sur correspondances. On prétend que Charles VII déclara, dès le début, que le duc nourrissait en son sein, le renard qui mangera ses poules. Les événements firent bien voir la justesse du mot.
Mais, flatté d’avoir chez lui l’héritier de la monarchie française, se sentant encore plus incontournable dans le jeu politique, Philippe vieillissant, il a, à cette époque soixante-et-un ans, ne se rend pas du tout compte des intentions réels de Louis. « L’affaire de Croy » ne lui ouvrira pas plus les yeux.
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Madame de Charolais |
En 1457, deux naissances à la cour de Bruxelles : madame de Ravenstein accouche d’une fille que le dauphin tient sur les fonts. Au mois de février, madame de Charolais accouche d’un enfant du sexe féminin. Celle-ci reçoit le nom de Marie, en l’honneur de Marie d’Anjou, mère du dauphin.
Jacques du Clerc : « en cest an mil quatre cents cinquante six (ancien calendrier), par un mardy, dix septième jour de febvrier, madame Catherine, femme du comte de Charollois, et fille du duc de Bourbon, en la ville de Bruxelles accoucha d’une fille…. Et luy donna icelluy daulphin à nom de Marie, pour l’amour de la reine de France sa mère, la quelle s’appeloit Marie.. »
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Château de Genappe |
Au moment de cette naissance, le dauphin chasse à Genappe. Tout en joie de l’heureux événement, le comte de Charolais, accompagné d’une suite imposante, va à sa rencontre. Il le prie d’être le parrain de la petite Marie. Louis accorde cette demande avec bienveillance. La chasse finie, côte à côte, tous deux reviennent à Bruxelles. Le baptême de la petite mademoiselle de Bourgogne est célébré dans l’église du Coudenberg. A cette occasion, la magnificence est portée à son comble et l’étiquette observée avec rigueur. Philippe se trouve absent, et peut-être n’en est-il pas fâché. A la cour, on regarde comme un très grand honneur que le dauphin se tienne à la droite de l’enfant porté par sa grand-mère. Les marraines sont la duchesse Isabelle et madame de Ravenstein.
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Ancienne église Saint-Jacques sur Coudenberg |
« … Et la tint sur les fonts monseigneur le daulphin de Vienne, la duchesse de Bourgoingne et la dame de Ravestain, niepce d’icelle duchesse et femme de Adolf de Clefves. A la nativité de la quelle fille on féit solemnelle feste.
…Et à porter icelluy à fons, alloit devant, le fils du duc de Gueldres, nepveu du duc de Bourgoingne, lequel portoit ung bacin ; après luy alloit Adolf de Clefves, nepveu aussi du duc, lequel portoit ung cierge bénit. Après lesquels trois, la duchesse de Bourgoingne portoit l’enfant, et à sa dextre estoit le dessus dict daulphin, qui tenoit sa main sur le chief de l’enfant, en le soutenant ; et y avoit 500 torches ou plus. Et fust au bapteme l’evesque de Cambray, frère bastard du duc, et l’evesque de Toul abbé de Sainct Bertin… »
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Nouvelle église Saint-Jacques sur Coudenberg |
Si à la cour on considère la présence de Louis comme un privilège, les Bruxellois et les autres sujets du duc ne voient pas d’un très bon œil sa présence au cœur des provinces. Quelques-uns soupçonnent même sa conduite de n’être que dissimulation. Selon ces mauvais esprits, Louis, de concert avec son père veut pénétrer les desseins de Philippe pour abattre la Bourgogne. Il désire connaître mieux l’esprit des grands et du peuple, pour semer la discorde.
Et cette discorde éclate en effet, et de manière à justifier tous les soupçons.
Les seigneurs de Croy étaient alors parmi les plus puissants de toutes les provinces que le duc de Bourgogne réunissait sous sa domination. Originaire d’Amiens, cette famille devait son élévation à Jean de Croy, favori de Jean-Sans-Peur, impliqué dans le meurtre du duc d’Orléans. Les Croy jouissaient auprès de Philippe du même crédit qu’ils avaient eu auprès de son père. On disait même que le duc se proposait de morceler ses domaines en leur faveur. Avides, ils avaient osé disputer au comte de Charolais les meubles de la succession de madame de Béthune. Orgueilleux, ils traitaient le fils de leur maître avec hauteur. Charles frémissait d’indignation, en se voyant ainsi négligé. Il les suspectait d’être vendu à louis et d’un autre côté, de rechercher continuellement à obtenir de son père des faveurs qui affaiblissaient la puissance du duché. En politique, Charles leur reprochait d’avoir, sous une certaine influence, conseillé la rétrocession à la France des villes de la Somme. Excédé, le duc de Charolais décide d’avertir son père du double jeu des Croy. Malheureusement, Philippe ne prend pas au sérieux les griefs de son fils. Déçu par cette attitude, Charles, dès ce moment, regarde de travers cette famille et deux clans se forment à la cour. Cependant, Il ne se trompe pas. Les Croy recherchent de plus en plus les faveurs du dauphin. Sentant le vent tourner, ils ont besoin d’un appui plus grand contre le comte de Charolais. La rupture ouverte, entre eux, a lieu en 1457. Il s’agit de remplacer en leur absence les chambellans du comte. Charles veut donner la troisième place de sa chambre au fils du chancelier Rolin, son père, au fils de Jean de Croy, sire de Chimay.
Malgré son père, le comte de Charolais s’obstine à ne pas changer l’ordonnance qu’il a rendue. Le duc l’appelle et lui demande d’apporter cette ordonnance. Le document à la main, Charles retrouve son père dans son oratoire, madame de Bourgogne est présente.
Sans attendre, Philippe tend la main vers Charles :
- Donnez-moi votre ordonnance !
Charles la lui remet. Le duc l’arrache des mains de son fils et la jette immédiatement au feu.
- Maintenant, allez en faire une nouvelle !
Charles s’emporte et jure qu’il n’en fera pas d’autre.
- Je ne me laisserais pas gouverner par les Croy comme vous !
Les mots terribles sont dits. Plus qu’une offense, c’est un crime ! Le duc entre alors, dans une telle colère qu’il chasse son fils et lui ordonne de quitter ses états. Intervient à ce moment, dans la tempête, la duchesse. L’épouse devient mère et la mère sort ses griffes. Violemment, Isabelle s’oppose à son mari et prend la défense de son fils : - Si vous chassez mon fils, je pars avec lui !
Et l’orage continue. Tous trois ont de si rudes paroles, de si effrayantes rages que tout espoir de conciliation semble impossible. Certains racontent que Philippe aurait sorti son épée et en aurait menacé son fils.
Resté à Bruxelles pour les fêtes du baptême, le dauphin de France se trouve encore au palais. Sortant de l’oratoire, la duchesse Isabelle, éperdue, court chez Louis, lui raconte le déchaînement de colères qu’elle vient de vivre et implore son intervention. Secrètement, le dauphin doit applaudir ce nouveau désordre chez ses ennemis, dont indirectement il en est la cause. Venir lui demander de l’aide, c’est encore l’occasion pour lui, d’ajouter un peu d’huile sur le feu - Décidément ces Bourguignons, des incorrigibles ! - Naturellement, lorsque Philippe voit l’héritier de France venir lui demander le pardon de son fils. Lorsqu’il voit sa plaie mise à nu devant celui qui le dernier aurait dû le savoir. Il en éprouve une émotion telle qu’il quitte, sur le champs, le palais. Dans la cour, il enfourche un cheval et s’éloigne seul comme un furieux dans la forêt de Soignes où il s’égare. De son côté, le comte de Charolais, non moins emporté, en avait fait autant. Quand la nuit arrive, ni l’un ni l’autre ne paraissent. La duchesse, au désespoir, redemande à grand cris son mari et son fils. A la nuit tombante, le duc aperçoit de loin le feu d’un charbonnier. Philippe donne des éperons. Arrivé à sa hauteur, le duc se fait reconnaître. Il lui donne quelques pièces et l’homme le conduit jusqu’à l’habitation de l’un de ses veneurs. Ce fut là qu’il coucha et que l’on le retrouva le lendemain. Quant au comte de Charolais, il avait trouvé asile à Dendermonde auprès de sa femme.
Cette affaire fait grand bruit dans la ville. Craignant que l’opinion publique ne le dépeigne comme un ennemi portant partout le désordre, le dauphin se voit forcé d’intervenir. Il joue le médiateur, l’homme de paix. Pour la galerie, il devient Louis le réconciliateur. Le dauphin envoie plusieurs fois à Dendermonde le sire de Ravenstein et le héraut Toison d’or Jean Lefèvre de Saint-Rémy. Ils doivent engager Charles à témoigner à son père une déférence que Louis n’a pas pour le sien. Moins obstiné que le dauphin, Charles, toujours ulcéré, va céder, par respect filial et aux conseils du chancelier Rolin.
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Chancelier Rolin |
L’héritier de Bourgogne rentre vite en grâce auprès de son père. Le duc se contente d’exiger le renvoi de deux écuyers de sa maison, tous deux trop habiles conseillers. Ils passèrent en France, l’un entra au service du roi et l’autre demeura à Paris. Par eux, le dauphin apprit ensuite ce qui se passait dans les conseils privés de son père. Mais le duc ne pardonnera pas à la duchesse sa démarche inconsidérée auprès du dauphin. Désormais, il l’exile de sa présence. Le maréchal de Bourgogne lui apporta les reproches et la décision de son mari. Elle s’en montra fort affligée,
- Comment devais-je faire ?...Il faut bien que monsieur me pardonne ; je ne suis qu’une étrangère ici ; je n’ai que mon fils qui me console et me soutienne.
Bannie par Philippe, Isabelle se consacra, dès lors, à la religion.
Pendant tout le temps de son séjour dans les Pays-bas, Louis sera l’objet des plus délicates attentions et plus grandes prévenances. En 1457, entre autres, le duc fera différer jusqu’au samedi la sortie de l’ommegang afin qu’il puisse le voir. Mais la présence de ce prince à Bruxelles aura bientôt des suites funestes pour la maison de Bourgogne.
A suivre…
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Place royale, emplacement du palais disparu |