Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).


Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



mardi 29 novembre 2011

Les premiers locataires du Lambermont


Ce bâtiment, que l’on appelle familièrement « Le Lambermont » est un haut lieu de la politique belge.  L’immeuble sert de résidence au premier ministre.

Donnant sur la rue Ducale, la maison construite à la fin du dix-huitième siècle appartenait à un important projet d’urbanisation du quartier du parc et de la place Royale.  Construit en style néo-classique sous le règne de l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse, il servit de résidence particulière jusqu’à son achat par l’Etat en 1860.  Après de premières transformations qui diminuèrent son caractère, la résidence fut, en 1895, complètement métamorphosée.  L’intérieur acquit alors l’aspect que nous lui connaissons actuellement.  Au vingtième siècle l’hôtel devint la résidence officielle des ministres du travail et de l’industrie et par la suite des premiers ministres.

Après l’incendie de l’ancien palais ducal, en 1731, les gouverneurs autrichiens s’étaient installés à l’hôtel de Nassau.  La cour brûlée, comme on appelait les restes noircis de l’ancien palais, et la Warande, espace boisé entre les ruines incendiées et la chaussée de Louvain, devinrent l’objet d’un grand projet urbanistique.  Donner à la ville un visage moderne, digne de la capitale des Pays-Bas.  L’aménagement de la cour brûlée, qui deviendra la place royale, fut confiée à l’architecte parisien Barré.  Comme celui-ci ne vint jamais à Bruxelles, la direction des travaux fut confiée à Barnabé Guimard.   Architecte à la cour, d’origine française, formé à l’académie royale d’architecture de Paris, Guimard s’était établi à Bruxelles en 1761.  L’espace sauvage de la Warande fut remplacée par un parc tiré au cordeau, à la manière de ceux de Versailles et des Tuileries.  Le contrôle de ce projet fut par la même occasion confié à Guimard.  
On ceintura le parc, sur ses quatre côtés, par de larges avenues : la rue Royale, la rue de Belle-Vue (aujourd’hui la place des palais), la rue de Brabant ( aujourd’hui la rue de la loi) et du côté des remparts, la rue ducale.  Cette dernière devait son nom aux statues des anciens ducs de Brabant qui s’élevaient à son extrémité.  On laissa à Guimard le soin d’urbaniser ces avenues.  Mais pour la réalisation de l’intégralité du projet, les fonds publics se révélèrent insuffisants.  Les autorités durent faire appel aux investisseurs privés.  Elles vendirent alors aux particuliers des parcelles de terrain autour du parc.  Les acheteurs devaient s’engager à respecter un cahier des charges aux normes strictes.  On organisa des ventes publiques décevantes.  La plupart des acheteurs hésitaient devant les trop nombreuses contraintes imposées par les autorités.  La parcelle portant le numéro 28, celle qui nous intéresse, figurait au nombre des invendues. 

Le parc de Bruxelles
                                                    

Le 16 décembre 1778, Pierre-Julien Pruvost, valet de chambre de Charles de Lorraine et fonctionnaire de la chambre des comptes, fit une offre de 500 florins d’argent pour cette parcelle.  Il tirait de son emploi de fonctionnaire, 1.120 florins par an, auxquels s’ajoutaient ses émoluments de valet de chambre et les gratifications généreuses du gouverneur.  L’offre fut acceptée par ses collègues de la chambre des comptes et par la ville de Bruxelles.  Quelques jours plus tard, notre fonctionnaire entrait en possession de la parcelle.  Pruvost réalisait là, une excellente affaire.

Sans attendre, on commença les travaux de construction.  Suivant les prescriptions des lettres patentes de l’impératrice Marie-Thérèse, Guimard dessina les plans de la façade de l’immeuble.  Carmon s’occupa des travaux.  Cet architecte prit parfois quelques libertés avec les dispositions du cahier des charges initial.  Une fois achevé, le bâtiment de style classique, présenta une forme cubique.  Pruvost raccorda la construction au réseau de distribution d’eau.

Homme fort avisé, Pruvost n’avait pas fait construire la maison pour son usage propre.  Aussi, le 9 septembre 1779, il signait devant notaire un contrat de location avec l’Anglais George Beauclerck, troisième duc de St-Albans. Le loyer s’élevait à 1500 Florins d’argent par an.

Ce Beauclerck était le petit-fils de Charles Beauclerck, enfant naturel du roi d’Angleterre, Charles II et d’une comédienne Eleanor Gwyn.  Celle-ci était née dans un quartier populaire de Londres, Covent Garden.  Enfant, elle fut serveuse dans une « maison ».  Avant de monter sur les planches, elle fit de nombreux petits métiers.  Jolie et spirituelle, ses rôles comiques attirèrent très vite l’attention du roi d’Angleterre.  Ce Stuart avait réouvert les théâtres, fermés par son prédécesseur, le puritain Cromwell.  Si Charles eut de nombreuses maîtresses, il resta cependant fidèle à Eleanor jusqu’à sa mort.  Il anoblit les deux enfants qu’ils eurent ensemble.  C’est ainsi que l’un d’eux Charles Beauclerck né en 1670, devint le premier duc de St-Albans.  Eleanor mourut en 1687. 

Eleanor Gwyn
                                                                        

Son arrière petit-fils George naît en 1730.  Après des études à Eton, il prend à son tour, le titre de duc à la mort de son père en 1751.  Un an plus tard, il se marie.  Vers 1756, il quitte son épouse.  Après avoir visité l’Europe, il arrive à Bruxelles.  Dans cette ville, ses exploits lui valent un fils naturel qui décède rapidement.  Déjà célèbre pour ses prodigalités et ses extravagances, on le retrouve à Eppegem, en1758.  Deux ans plus tard, il s’installe à Saint-Gilles-lez-Bruxelles.  Le duc a la Passion ruineuse des objets précieux, il les collectionne avec une sorte d’exaltation.  Bruxelles doit bien lui plaire car il se lance dans la construction d’une habitation à Laeken.  Malheureusement ses trop nombreuses et coûteuses dépenses l’obligent à abandonner le projet.  Le manque d’argent et les réclamations continuelles de ses créanciers, contraignent l’excentrique aristocrate à regagner pour quelques temps l’Angleterre.  

Là-bas, il retrouve toutes les prérogatives de son rang et lors de l’intronisation du nouveau roi, il a, dans la cathédrale de Westminster, l’honneur de porter l’épée de l’Etat.  Le décès de sa femme, en 1778, lui laisse un très bel héritage.  Il en profite, aussitôt, pour revenir à Bruxelles.  Décidément cet Anglais aime cette ville.
La grande maison moderne que Pruvost mettait en location était parfaite pour lui.  Le duc s’y installe avec sa maîtresse.  De cette relation, deux filles naissent, Rose et Anne-Amélie. 
Dans toutes les grandes pièces, on surmonte les cheminées de grands miroirs, les fenêtres sont décorées de beaux rideaux blancs et les murs sont tendus de différents tissus de grandes qualités.  Le mobilier est riche.  Des grandes et petites tables, des sièges en acajou, des coffres, des secrétaires et des paravents laqués garnissent les pièces.  Dans les écuries, l’attendent tout un attelage de sept chevaux hongrois noirs et un certain nombre de chevaux de différentes couleurs.  George possède encore plusieurs chevaux de selle, dont « un cheval entier Hanovrien de la plus belle espèce et de la plus grande beauté ».  Sa cave est également loin d’être dépourvue.  Toujours passionné par les objets précieux, il transforme très rapidement l’habitation en une galerie d’art.  Horloges londonienne à balancier, pendules serties de diamants, fine porcelaine, argenterie et toutes sortes de bibelots rares en or en argent ou ambre viennent enrichir la demeure aristocratique.  Une collection de 146 tableaux complète le décor, parmi ceux-ci : une dizaine de Canaletto, un Rubens, un David Teniers, trois Van Dyck.

Le 2 février 1786,  le duc décéda dans  son hôtel de la rue Ducale.  La famille déclara son testament illégal.  Ses deux filles furent déshéritées.  Son cousin germain prit le titre de quatrième duc de St-Albans.  Son corps fut transféré en Angleterre et inhumé, comme ses ancêtres, dans l’abbaye de Westminster.  Ses biens bruxellois furent mis en vente publique, laquelle rapporta aux héritiers, la somme de 7.150 florins d’argent.

Armoiries de George Beauclerck

Durant cette période, Pierre-Julien Pruvost avait perdu une partie non négligeable de ses revenus.  Charles de Lorraine était mort.  Marie-Thérèse avait nommé sa fille Marie-Christine et son mari, gouverneurs des pays-Bas.  Certes, Pruvost resta valet de chambre mais il vit son salaire diminué et ne bénéficia plus des petits extras prodigués par le généreux Charles.  Après le décès de son premier locataire, Pruvost se mit à la recherche d’un successeur.  Le 26 septembre 1786, devant notaire, il signa un bail avec Emmanuel Siprutini, commerçant italien.  Il en profita pour augmenter, le loyer annuel, de 100 florins d’argent.  Le commerçant italien ne séjourna que peu de temps dans la maison.  Assez vite, il céda son contrat à un monsieur Ross.  En 1788, Pruvost signait un nouveau bail avec un certain Jean Geelvinck, le loyer fut, une fois de plus, augmenté de 100 florins d’argent. 

En 1789, commença pour le propriétaire des lieux, une période sombre.   Il eut  d’abord, la révolution brabançonne ensuite, en 1792, les armées révolutionnaires françaises se jetèrent sur le pays et enfin, en 1795, la France annexa les provinces.
L’ancien régime connut de cette manière, une disparition soudaine.  Le changement ne se manifesta pas seulement dans une nouvelle forme de gouvernement, mais aussi dans un certain nombre de modifications dans la vie journalière.  L’introduction du calendrier républicain et la modification des noms de rues furent de ces innovations.  La rue de l’Egalité remplaça la rue Ducale.  Sur la place Royale, la statue de Charles de Lorraine fut renversée et on planta à sa place un arbre de la liberté.  L’industrie, le commerce et l’agriculture connurent une crise, environ sept cents rentiers quittèrent Bruxelles.  Ce mouvement d’émigration accentua le malaise général.

Pruvost fut l’une des nombreuses victimes de la nouvelle situation. Il avait perdu son emploi.  Sa maison de la rue de l’Egalité ne trouvait plus de locataire.  A cela s’ajouta, l’augmentation de l’impôt foncier.  L’offre surabondante des locations entraîna une baisse de 75% des loyers.  Faute de locataire, le bâtiment servit de logement aux soldats français.

Pruvost mourut à cette époque, son épouse décéda à son tour en 1805.  Le couple n’avaient pas d’enfants. L’héritage se partagea entre les deux frères et la sœur de Madame Pruvost.  Ces derniers mirent en vente la maison de la rue Ducale.

A suivre…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire