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Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



mercredi 13 juillet 2011

Le faux soir

Proche de l’église du Sablon, la rue de Ruysbroeck.

Cette rue, en pente forte est l’une des plus anciennes de Bruxelles.  Au numéro 35, l’école préparatoire Dachsbeck, sur sa façade est accrochée une plaque commémorative.  Elle se souvient qu’à cet endroit en 1943, fut imprimé par la résistance le « Faux-Soir », journal clandestin.  Une affaire qui fit grand bruit à l’époque.

Un Anglais disait au même moment, « l’Angleterre et la Belgique sont deux grands pays au point de vue journalistique, nous avons inventé le journal, vous avez inventé le journal clandestin. »

Pendant la première guerre mondiale, pour combattre la censure militaire allemande, des journaux clandestins virent le jour dans la Belgique occupée.  Naquirent ainsi,     « LA LIBRE BELGIQUE », « FLAMBEAU »,  «REVUE DE LA PRESSE LIBRE », « DE VLAAMSCHE LEEUW ».  Des Belges avaient inventé la presse clandestine.  Une forme de résistance qui devait être étendue au monde entier. 

L’occupant germanique de 1914 était brutal sans plus.  En 1940, le visage de l’Allemagne avait radicalement changé.  Le Nazisme régnait sans partage sur ce pays.  Construit sur les décombres de la grande guerre et sur les ruines du krach boursier de 1929, il avait balayé toutes les vieilles institutions.  Il imposa, d’abord chez lui, ensuite à l’Europe de nouvelles idées et une nouvelle guerre.  En juin 1940, après leur victoire militaire, les Nazis recherchèrent une reddition civile, une capitulation de la pensée humaine. 

Les services de propagande du vainqueur se chargèrent de la soumission des populations.  La presse écrite des pays occupés devint pro-allemande, la Radio suivit et le cinéma les accompagna.  Pour défendre l’indépendance du pays et garder son identité, certains choisirent de résister.  Spontanément, dès 1940, bravant les interdictions, les journaux clandestins réapparurent.  Souvent initiatives privées, ils réagissaient contre l’esprit d’apathie de la population et le manque d’informations.  Les écrits de cette presse résistante essayaient de dégager une espérance et une confiance dans l’avenir.  Au grand étonnement des Anglais et des Américains, autonome, la presse clandestine belge se développa et s’organisa très rapidement.  Plus tard, cette presse publiera des numéros, en allemand, destinés à démoraliser l’ennemi.  « DAS FREIE WORT », « MEHR LICHT » , deux feuilles distribuées dans l’armée allemande.  Toujours plus dynamiques, les organes clandestins du pays publieront aussi en hongrois, en esperanto et dans d’autres langues. 

Au commencement, les faibles moyens de la résistance écrite atteignirent peu la population.  Toutes les tendances politiques et philosophiques y étaient représentées. Parurent alors : « LA LIBRE BELGIQUE », « LIBERATOR » à L’U.L.B, « CHURCHILL-GAZETTE », « DE VRIJSCHUTTER », « HET VRIJE WOORD », parmi des centaines d’autres titres.  « LE DRAPEAU ROUGE », publia son premier numéro clandestin en juin 1940.  Le futur premier ministre belge, Achille Van Acker collaborait activement à l’une de ces feuilles : le « MORGENROOD ». 

Petites ou grandes, ces publications formaient un bloc.  Le mérite était égal, le risque aussi et les condamnations les mêmes pour tous.  L’arrêt brusque de la parution d’une publication clandestine correspondait bien souvent à un drame atroce et douloureux. Une publication intitulée « RESISTER » ne publia que deux numéros.  Le héros est demeuré inconnu.
Certaines de ces publications comportaient seize pages et tiraient à trente mille exemplaires.  Le « Faux-Soir » imprima à cinquante mille.

Certains de ces journaux clandestins étaient l’œuvre d’une seule personne.   Il était à la fois le rédacteur, l’imprimeur et le diffuseur de son « clandestin ».   Il s’attelait à toutes les besognes. Il tirait à quelques dizaines, voire quelques centaines de feuilles.  Si son entreprise clandestine connaissait le succès, il s’adjoignait des collaborateurs et petit à petit les tâches se partageaient.  Le tirage montait à ce moment-là à mille ou deux mille exemplaires. Des distributeurs étaient recrutés.  Le succès se confirmant, on gagnait un imprimeur à sa cause, bien souvent un artisan. Le tirage passait alors à cinq mille, voire dix mille exemplaires.  Certains imprimeurs composaient le numéro clandestin la nuit, le jour, ils imprimaient des journaux collaborationnistes.  Les dangers de l’imprimeur étaient multiples : le bruit de la machine, les plombs qui ne pouvaient être évacués ou dissimulés facilement, le format et la qualité de la feuille de papier employés pour imprimer le « clandestin », les caractères.  Chaque caractère a un défaut, facile à détecter pour un œil averti.  L’imprimeur avait la tâche la plus ingrate.  Le sort de la publication dépendait de lui.

Et puis il y avait  les courriers, les agents chargés du transport du papier, le fournisseur du papier et le caissier.  Le caissier, autre personnage incontournable, c’est de lui que venait la limitation du tirage.  Malgré les demandes, il s’en tenait toujours aux possibilités financières du groupe.  Le distributeur entrait en jeu lorsque le numéro était terminé. Le transport se faisait aux heures les plus favorables.  Une nuit, deux courriers se rendirent chez un imprimeur.  Ils étaient gendarme de profession et portaient leur uniforme.  Un troisième résistant, habillé en civil, les accompagnait.  Vers deux heures du matin, les trois résistants rentraient, avec un colis de huit mille feuilles clandestines accroché au cadre d’un vélo.  Soudain, ils virent venir à eux deux patrouilles de la Feldgendarmerie.  Sans hésiter, nos deux gendarmes belges passèrent les menottes à leur camarade.  Ils déclarèrent, aux policiers allemands, qu’ils venaient d’arrêter un trafiquant du marché noir.  Les Allemands approuvèrent.  Après l’étape de l’imprimeur, les « clandestins » étaient partagés entre les petits distributeurs. Leur tâche n’était pas moins dangereuse.  En contact avec des centaines de lecteurs, les risques de dénonciations étaient très grands.  Ils recrutaient des fonds qu’ils acheminaient par filière jusqu’au caissier.

                                                             

Un an maximum de lutte pour les rédacteurs, six mois pour les imprimeurs et les distributeurs.  Ce qui se traduit ainsi, après six mois de travail pour les uns et un an pour les autres, nonante-neuf fois sur cent ils tombaient dans les griffes de la Gestapo.  Il était Dantesque de travailler, de résister dans l’ombre en sachant qu’après un certain temps, c’en serait fait non seulement de l’engagement, mais aussi de tout espoir de revoir les siens. 

« Toi qui entre ici abandonne toute espérance »

Les tribunaux militaires de l’occupant jugeaient beaucoup d’affaires de presse clandestine.  Les autorités judiciaires allemandes les estimaient extrêmement graves.  Ils condamnaient souvent, les imprimeurs ou rédacteurs de ces journaux, à mort.  Les autres, le tribunal les envoyait dans les camps, leur appliquant la procédure de «nuit et brouillard ». 

Ce qui explique, pourquoi des animateurs comme le communiste Soupart, de la « VOIX BORAINE », ont livré un combat furieux aux Feldgendarmes, qui venaient les arrêter.  Plus de deux mille agents de la presse clandestine ont trouvé la mort dans cette lutte souterraine.  Beaucoup, comme les frères Danneels, imprimeurs de la « LA VOIX DES BELGES » furent fusillés. Pierre Bosson du « DRAPEAU ROUGE » fut incinéré vivant.  D’autres , pour ne citer qu’Alfred Bribosia, un distributeur, furent gazés.  D’autres encore furent décapités, comme Jacques Lagneau et Jean-François Tihon, tous deux communistes.  Mais la plus grande majorité mourut lentement, dans les camps de concentration nazis. 

LE FAUX-SOIR du 9 novembre 1943.

Début 1944, à Londres, lors d’une conférence sur la Belgique occupée, les participants lurent avec étonnement et passion des copies du « Faux-Soir » apportés par le docteur Marteaux, délégué du Front de l’indépendance.  Ils rirent de la belle « zwanse » montée par la presse clandestine bruxelloise.
Mais cette affaire ne fut pas qu’une moquerie envers l’ennemi. Elle fut l’un des actes les plus audacieux de la résistance qui valut la mort ou la prison à la plupart de ses auteurs.  Cette action impressionna l’ennemi, l’opinion publique belge et celle du monde entier. 

Le « Faux-Soir », tiré à cinquante mille exemplaires,  fut une initiative de Marc Aubrion.  Rédigé par Fernand Demany du Front de l’indépendance, par  Van den Branden de Reeth, « JUSTICE LIBRE », futur ministre, par Anciaux et Aubrion.  Composé avec le concours de Ferdinand Wellens, imprimeur, de Pierre Ballencourt, linotypiste, Vandevelde, rotativiste et de Oorlijnck, linotypiste.  Aidés par de nombreux distributeurs anonymes.

Le 9 novembre 1943, vers 16 heures, la distribution des « Faux-Soir » commença dans une quinzaine de kiosques à journaux bruxellois.
Ils vendirent, à leur insu, environ 5.000 exemplaires.  Le solde fut distribué par divers groupements de résistance, surtout par le Front de l’Indépendance.  Dix mille de ces « Faux-Soir » furent diffusés dans  l’Europe occupée. 
C’est sans doute ce qui explique l’action des membres du Mouvement Uni de la Résistance Française.  Le 31 décembre 1943, des camions appartenant aux « Groupes Francs » firent le tour des kiosques à journaux de Lyon.  Leurs conducteurs réclamèrent les numéros du « NOUVELLISTE », journal collaborateur, déposés cinq minutes auparavant.  Ils déclarèrent aux vendeurs que ces journaux étaient censurés.  En échange, ils remirent la feuille éditée par les résistants.  Ce faux journal obtint un succès extraordinaire.  Un avis inséré en deuxième page signalait : « Ce numéro exceptionnel du « NOUVELLISTE » a été entièrement réalisé par les Mouvement Unis de Résistance et mis en vente par eux, malgré la Gestapo et la police vichyssoise, à titre de sanction contre la direction collaborationniste du journal ». 

La Gestapo bruxelloise, chargée de retrouver les responsables du « Faux-Soir », identifia, le 25 février 1944, l’imprimerie.
Wellens fut arrêté et condamné à sept ans de Forteresse.  Il n’est pas revenu.  Vandevelde, condamné à trois ans de prison, ainsi que Oorlijnck condamné à un an de prison, rejoindront leur famille après la guerre.  Aubrion co-rédacteur, promoteur et organisateur de l’affaire, fut arrêté (alors qu’il avait en préparation un faux « SIGNAL ») et condamné à mort le 17 mai 1944.  Rejugé un mois après (22 juin), sa peine fut commuée à quinze ans de forteresse.  Une quinzaine de distributeurs et de revendeurs furent condamnés à des peines allant de six semaines à cinq ans de forteresse. 
Cette affaire qui fit grand bruit, assura au Front de l’Indépendance la reconnaissance de Londres qui lui octroya un sérieux subside.

Il n’est pas exagéré de dire que la presse clandestine a apporté aux Alliés, une arme terrible. Développée dans tous les pays occupés, la presse clandestine a menacé de manière constante les arrières de l’ennemi.  Cette presse gagna la bataille psychologique imposée par les envahisseurs. 

La pensée humaine ne capitula pas.     


« Déjà la presse clandestine n’est plus qu’une appellation vague pour beaucoup…l’oubli de certaines actions sublimes serait un crime égal à l’oubli des plus belles pages de notre histoire… »
Jean Honorez.

Quelques visages des Héros et martyrs de la presse clandestine.  Pour ne pas les oublier.  Tous furent fusillés.




Julien Bouckaert, 35 ans.




Léopold Daneels, 43 ans. 

Marcel Daneels, 39 ans.

Constant De Greef, 34 ans.

Norbert De Keyser, 50 ans.

Maurice De Meese, 17 ans.

Louis De Mol, 40 ans.

Jean Delville, 34 ans.



Gustave Dequenne, 45 ans.

Jacques Drabbe, 30 ans.


Léon Horrion, 23 ans.

Jean Lacrosse, 45 ans.



Servais Lorigenne, 52 ans.

Gaston Notte, 41 ans.



Edmond Preys, 64 ans.


Alfred Steux, 26 ans.

Jean Tihon, 46 ans.



Fidèle Van Weyenberg, 19 ans.

Omer Vandeuren, 29 ans.



Joseph Wauty, 46 ans.


HOMMAGE

4 commentaires:

  1. omer vandeuren etait le pere de mon frere christian de wachter et de ma mere marie josee de wacter elle meme dans la resistance .B iens a vous DE WACHTER ROLAND

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    1. Omer Vandeuren etait aussi mon grand-pere, et j'en suis fier. Fabrice Karp De Wachter

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    2. Bonjour je suis le petit fils d'Omer Van Deuren et le fils de Christian et j'aimerais faire votre connaissance. Fabrice Karp De Wachter

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