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Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



lundi 18 juillet 2011

Le peintre de Napoleon à Bruxelles

Autoportrait de David

Paris, 20 prairial An II (8 juin 1794).

« Place au commissaire de la Convention ! »
Organisateur de la fête de l’Etre suprême, Jacques Louis David, peintre du     « Serment des Horaces » et ami de Robespierre, dirigeait la marche du somptueux cortège.  Il s’agitait beaucoup, veillait à tout et s’annonçait lui-même.  Il réglait le défilé des corporations « en agitant son chapeau surmonté d’un grand panache tricolore ».   

Dans cette cérémonie, Robespierre marchait seul devant la Convention.  A pas mesurés, la tête découverte, les yeux regardant le sol.  L’Incorruptible était morne et inquiet.  Quelqu’un avait osé lui dire  « j’aime ta fête, mais je te hais ».

Six  semaines plus tard, Robespierre était guillotiné.

A la Convention, certains enragés regrettaient que Jacques Louis David, robespierriste idolâtre, eût échappé à l’échafaud de son ami.  Son Absence opportune, le 9 thermidor, à la Convention, l’avait sauvé.  Prévenu par  Barrère « Ne vient pas, tu n’es pas un homme politique », il s’était fait porter « pâle » ce jour-là.  Le 13 thermidor, sommé d’expliquer son soutien à l’Incorruptible, David monta à la tribune.  Devant le nombre et la violence des attaques dirigées contre lui, le pauvre homme angoissé, le visage livide, en sueur, se défendait mal.  Une difficulté de prononciation  naturelle, augmentée encore d’une exostose qu’il avait à la mâchoire supérieure, rendait sa parole difficile.  Tels des hyènes, ses ennemis, le harcelaient jusque dans les derniers retranchements.  Et sans le boucher Legendre, seul contre tous, il était perdu.  Exclu de la Convention ce jour-là, il fut arrêté quelques jours plus tard.

David était pourtant tout l’opposé d’un fanatique.  Brave homme, ordonné, laborieux et peu bavard, il n’avait rien d’un monstre sanguinaire.  Son imaginaire rempli d’histoires et d’usages antiques, l’entraîna, comme la plupart de ses contemporains éclairés, dans la tourmente révolutionnaire de 1789, où il se perdit.
Une fois dans l’ouragan, il s’y débattit comme les autres.  Membre de la Convention, il ne peignait plus.  Les séances de la Convention accaparaient tout son temps.  Comme beaucoup d’autres, il avait adopté le vocabulaire et les geste politiques du moment. 

La mort de Marat

Ainsi, un jour que son ami Marat était pris à parti par le député Pétion : « le moment est venu de chasser de cette enceinte ces…scélérats ...qui...nous menacent…du poignard des assassins !...- c’est vous ! s’écria Marat, c’est vous qui êtes des assassins ! ».  S’élançant alors, au milieu de la salle en furie et prenant la défense de l’ami du peuple, David s’écria : « Je demande que vous m’assassiniez…je suis un homme vertueux…la liberté triomphera… » ; et Pétion de répondre : « Qu’est-ce que prouve l’action de David ?  Rien, si ce n’est le dévouement d’un honnête homme en délire, trompé par des scélérats…Tu t’en apercevras, David ! – Jamais ! » répondit le peintre.  Il persista.   Il était fidèle en amitié.  Aussi, le 8 thermidor An II, pour avoir refusé de livrer à la Convention, les noms des membres soupçonnés de trahison, Robespierre fut mis en difficulté par les députés.  L’Incorruptible s’écria « S’il faut succomber, eh bien ! mes amis, vous me verrez boire la ciguë avec calme ».  Présent à la séance, David, « à l’imitation des Grecs et des Romains», vint à son aide en déclarant « Si tu bois la ciguë, je la boirai avec toi ! ».  

Pour imiter Brutus, David, le républicain a voté la mort du Tyran, de Louis XVI.  Les moments historiques l’exaltaient.  Dès lors, lui, le grand peintre  s’abaissa à dessiner des satires qui ne firent rire personne.  Lui, le magnifique artiste, préconisa la destruction des effigies royales. « …Je demande la destruction des bustes de Louis XIV et de Louis XV… ».  Il dota Paris d’une monstrueuse caricature de l’Hercule Farnèse, représentant le Peuple debout - huit mètres de haut - portant en gros caractères sur son front le mot Lumière, sur sa poitrine Nature, Vérité sur ses bras Force, Courage,et dominant d’énormes crapauds vautrés sur les débris des statues de Louis XIV et de Louis XV. 

Tout cela n’avait vraiment plus rien à voir avec son génie.

Le Serment des Horaces

Après Thermidor, David, sentit l’erreur qu’il avait commise.  Abandonner l’art pour une illusion.  Quand elle avait vu s’enfoncer dans la révolution, cet homme qu’elle adorait, sa femme l’avait quitté.  Elle emmena ses deux filles, laissant les deux garçons à la garde de leur père.  Elle réapparut quand David, arrêté comme robespierriste, subit la prison.  Libéré, bien résolu à ne plus se mêler de politique, le grand peintre revint à ses élèves et à son atelier du Louvre.  

« …le temps et les événements m’ont appris que ma place est dans mon atelier… »

Buste de David par Rude

Naufragé de la terreur, on se représentait David comme un jacobin impénitent, brutal et grossier.  Pourtant, il était d’une tenue parfaite et d’une politesse raffinée, plein de bonhomie et de bienveillance.  Conséquence d’une blessure d’épée, une tumeur  déformait sa lèvre supérieure. Cette déformation le faisait surnommer par ses ennemis « la grosse joue ».  Seule, une petite cocarde tricolore au chapeau rappelait son passé révolutionnaire.  Il était toujours vêtu avec recherche.  Peut-être y avait-il dans cette élégance la volonté de faire oublier les souvenirs embarrassants de l’An II.  Il s’y appliquait avec conscience.  Dans son atelier, le mot citoyen était banni du vocabulaire, c’était Monsieur David.  «…sous son habit de soie, il était impossible de retrouver le républicain… »

Le culte enthousiaste qu’il voua à Bonaparte explique, s’il ne l’excuse, son engouement  pour Robespierre : « emballements » d’un grand artiste irrésistiblement séduit par tous les mirages. 

« Bonaparte est mon héros…c’est un homme auquel on aurait élevé des autels dans l’antiquité… »

Toujours l’Antiquité.

Bonaparte

La scène où le général Bonaparte pénètre pour la première fois, pressé et impatient, dans l’atelier du Louvre, est théâtrale.  Les élèves et les professeurs lui firent une haie d’honneur.  Trois heures de pause pour un portrait célèbre resté inachevé.  Une autre fois, le Premier Consul, désinvolte, sollicité de poser à nouveau, envoie simplement son chapeau, sa redingote, ses bottes et son épée.  Voilà David peintre officiel de l’empereur, dirigeant le tableau du couronnement.  Il a peint le pape aux Tuileries.  L’ex-ordonnateur de la fête de l’Etre suprême fut admis chez le Souverain Pontife.  On l’avait averti qu’on ne pénétrait chez le Pape qu’en se prosternant.  C’est à genoux qu’il devait faire le portrait de Sa Sainteté.   Mais Pie VII le dispensa de cette contrainte.  Après avoir reçu la bénédiction du Saint-Père, David sortit de son audience aussi enthousiasmé du Pape, qu’il avait été, jadis, de Robespierre. 

Pie VII
Le Sacre

Et puis sa nouvelle idole, Napoléon s’écroula, et les Bourbons reparurent.  Les régicides furent exilés.  Quoique Louis XVIII eût volontiers consenti une exception en faveur de David.  Celui-ci se refusa à la solliciter.  A la manière des anciens, sans une plainte, sans récrimination, devançant l’arrêt de bannissement, il partit pour Bruxelles.  Il s’y fixa, le 27 janvier 1816, au numéro 7 de la rue Léopold.  

Dès le lendemain de son départ, l’école et les principes de David furent renversés par de nouveaux peintres français.

Mais la célébrité de David restait non seulement intacte mais son malheur la rendit plus grande encore à l’étranger.  Le roi de Prusse lui offrit la direction des arts dans son royaume.  Il refusa.  A Bruxelles,  il exerça pour la première fois sa peinture avec indépendance et agrément.  On lui commanda des toiles, il fit des portraits.  Influencé par la peinture flamande et hollandaise, son art s’aventura dans une voie nouvelle.

Théâtre de la monnaie

Les étrangers importants qui s’arrêtaient à Bruxelles ne manquaient pas d’aller rendre hommage au peintre de Napoléon.  Le roi des Pays-Bas, Guillaume d’Orange, se sentait fier d’avoir chez lui, le grand David.  Souvent, il lui rendait visite.  Entouré de Sieyès, Barrère et Alquier, autres régicides bannis et de ses anciens élèves, dont le peintre Navez,  David supportait avec constance son exil. 
Personnage en vue, les gens se rendaient au théâtre pour le voir.  Presque tous les soirs, David assistait aux représentations du théâtre de la Monnaie.  A l’orchestre, il occupait toujours le même fauteuil.  Lorsqu’il était absent, ce siège était respecté.  Si quelque étranger s’y asseyait, les voisins lui disaient : « c’est la place de David ».
Lorsque la pièce jouée faisait allusion ou au talent ou à l’infortune d’un artiste, le public applaudissait la scène en hommage à David.

Il était aimé.

Un soir, pendant l’entracte, un Anglais parvint à l’approcher.  L’étranger témoigna au peintre, le bonheur qu’il ressentait de se trouver près d’un si grand homme et d’avoir pu lui serrer la main.  David dit à l’Anglais : « Vous êtes donc un amateur bien passionné des arts, monsieur, que vous veuillez les honorer ainsi en témoignant une admiration si grande pour ceux qui les cultivent ?Moi, monsieur, point du tout, dit l’étranger, je voulais voir les traits et toucher la main de l’homme qui a été l’ami de Robespierre. »
L’incroyable admiration des radicaux de tous les pays pour Robespierre, pour Marat et d’autres hommes de la révolution, fit qu’il se fut trouvé, à Bruxelles, un Anglais assez original pour féliciter sincèrement David de ses anciennes amitiés de 1793.

L’exil du grand peintre se changeait en triomphe

Mars et Vénus
Amour et Psyché

Il avait septante-six ans lorsqu’il acheva  « Mars et Venus ».  Le tableau produisit un grand effet auprès du public et des artistes.  Le droit d’entrée demandé à ceux qui venaient le voir fut affecté à l’assistance des vieillards des hospices de Sainte-Gertrude et des Urselines.  Il agit de même à Gand, à l’occasion d’une exposition de ses œuvres.  Fraternel, David fut un habitué du geste.  Lorsqu’il était membre de la Convention, ses tableaux  du « Serment des Horaces » et de « Brutus » ne lui avaient pas encore été payé.  Il se montra désintéressé, comme l’étaient la plupart des hommes de son parti.  A la tribune, il déclara : « Si la Nation croit me devoir quelque indemnité, je demande que cet argent soit consacré au soulagement des veuves et des enfants de ceux qui meurent pour la défense de la liberté.»

Sa santé déclina, sa main devint lourde, il ne peignit plus. « ma main s’y refuse »
Pendant l’été de 1825, il tomba malade au point que l’on craignit pour ses jours.  La paralysie atteignit sa femme.  Leurs enfants, qui vivaient Paris, vinrent à Bruxelles.  David se rétablit à l’automne, il recommença à peindre avec énergie.  En décembre une rechute lui enleva tout espoir de guérison.  Il arrêta définitivement la peinture.

Néanmoins, malgré les douleurs, il parvint encore à rassembler tout son courage pour corriger une épreuve de son « Léonidas aux Thermopyles ».  Alité, il fit placer la gravure devant lui, demanda sa canne.  Avec elle, il indiquait les diverses corrections qu’il désirait voir : « trop noir…trop clair…la dégradation de la lumière n’est pas assez exprimée…cet endroit paillote…cependant…c’est bien là une tête de Léonidas… » disait-il ne pouvant presque plus se faire entendre.  Bientôt sa voix s’éteignit entièrement, sa main lâcha la canne et il rendit le dernier soupir.  C’était le 29 décembre 1825, à dix heures du matin.

Sainte-Gudule

Le 5 janvier, on exposa son corps embaumé.  Le 7, en grand cortège funèbre, on le conduisit au cimetière de l’église Sainte-Gudule.  Les élèves de l’académie royale de peinture et de sculpture portaient des couronnes de laurier et des palmes.  Les élèves du peintre Stapleaux et du sculpteur Rude portaient des bannières sur lesquelles s’inscrivaient les titres de ses principales œuvres.  La musique militaire jouait des marches funèbres.  Le char portant son cercueil était traîné par six chevaux noirs conduits par six laquais habillés de noir.  Ses amis, des artistes portant des flambeaux ou des couronnes, et d’une foule d’anonymes complétèrent le cortège.


La France refusa de recevoir le corps de David.  On l’enterra alors au cimetière de Bruxelles.  De nos jours, on peut encore y voir sa tombe, au rond point des Bourgmestres.  Un carré au centre duquel s’élève une obélisque gravée de ces mots : « A Jacques Louis David restaurateur de l’école moderne de peinture en France ».  Sa femme, Charlotte mourut quelques mois  après, le 26 mai 1826.  Elle repose à Paris, au cimetière du père Lachaise, avec à ses côtés, le cœur de David ramené à Paris par son fils.  

 

"Mon art est tout en action"

Jacques Louis David.


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