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Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.
Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.
Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…
« …c’était au temps où Bruxelles… »
mardi 20 septembre 2011
Manneken-Pis ou le petit Julien
En quittant la grand’place de Bruxelles, empruntant la rue Charles Buls (anciennement rue de l’étoile) traversant la rue du lombard ( au passage pour piétons ), le promeneur, qui est sage et prudent,entre dans la rue de l’étuve. Comme le nom l’indique, cette rue groupait, au moyen âge, des étuves ou bains publics. Paradoxe : on se lavait plus au 14e siècle qu’au début du XXe siècle. Aujourd’hui, reste seulement le souvenir et deux vers du poète Eustache Deschamps qui vint, vers 1380, se balader dans le quartier.
« Brusselle où les bains sont jolys,
Les estuves, les filles plaisans »
De nos jours, en ces lieux, le touriste a remplacé le poète. Comme des champignons, les « giftshops » de souvenirs de Bruxelles (made in China) ont poussé sur les vapeurs disparues des étuves. Très nombreux aussi, les vrais et les faux chocolatiers se disputent le client d’un jour et lui proposent à la vente d’authentiques pralines made in Belgium. Le chiffre d’affaire de ces commerces profite de la présence, en cet endroit, au coin des rues de l’étuve et du chêne, du plus ancien citoyen de Bruxelles, le petit Julien, autrement nommé : le Manneken-Pis.
Infatigablement en action, cheveux bouclés, yeux de bronze et nombril au vent, haut comme trois pommes, le petit gars de Bruxelles dévisage le curieux de haut de sa fontaine.
Point de mire des touristes du monde entier, la célèbre statuette, glorieuse et unique ( pas tout à fait), fétiche des Bruxellois, attire. On ne passe pas à Bruxelles sans aller la voir.
Quel est son histoire?
Le « ketje » possède des origines mal éclaircies. La vérité se perd dans le temps. Peu vraisemblables, on compte une vingtaine de récits ou fables sur ses origines. L’une d’elles, raconte qu’un fils du duc de Brabant, encore nourrisson, fut suspendu à un chêne pendant une bataille. Soudain, se redressant dans son berceau, il se mit à si bien arroser les combattants ennemis que ceux-ci prirent la fuite. En souvenir de ce vaillant exploit, on éleva la statuette- fontaine et l’on planta à ses côtés, le chêne qui l’avait porté. Laissant de cette manière, son nom à l’actuelle rue du chêne. L’écrivain Michel de Ghelderode précise qu’au temps des druides déjà existait à cet endroit une source dédiée à la déesse de la fécondité. Les siècles passèrent et se substituant à la déesse païenne, Mannenken-Pis occupa la place. Au moyen âge, son eau ravitaillait le quartier. Au XVe siècle, on appelait l’endroit : la fontaine du petit Julien.
En 1619, la fontaine se faisait vieille et le 13 août de la même année, la ville de Bruxelles commanda, pour cinquante florins, à l’atelier de l’un de ses échevins, Jérôme Duquesnoy, tailleur de pierre, une statuette, dans le nouveau style. Un joli « Puto » un angelot bien joufflu à la manière italienne devait surmonter l’ensemble. Selon une tradition, l’échevin-artiste aurait confié l’ouvrage à son fils aîné, François, au grand mécontentement du cadet, Jérôme, qui excellait à représenter les enfants. Jérôme Duquesnoy fils conçut dès lors, pour son aîné, une jalousie maladive. Une rivalité qui finira par l’empoisonnement de François par son cadet. En 1654, accusé à Gand de « crime de sodomie et autres abominations » Jérôme Dusquesnoy sera condamné à être brûlé vif. Le fétiche porte bonheur des Bruxellois avait porté malheur à ses auteurs.
Les annales de la cité rapportent inépuisablement les aventures et mésaventures de cette statuette. Dix fois kidnappée, elle fut dix fois remise en place.
Le marmot de bronze échappa au bombardement de 1695, qui détruisit la plus partie de la grand’place et ses alentours. Quasi religieusement il fut déménagé et après la terrible canonnade, on le replaça en triomphe sur son socle.
Cinquante ans après, une nuit de 1745, deux soldats anglais, s’enfuyant à toutes jambes, l’emportèrent. Fâcheuse plaisanterie. A peine, étaient-ils arrivés dans la ville flamande de Geraardsbergen, que les Bruxellois, qui les pourchassaient les empoignèrent avec l’aide des habitants de cette cité. En remerciement, Geraardsbergen reçut des Bruxellois, une réplique de l’inestimable statuette. De nos jours les citoyens de cette cité déclarent détenir le plus ancien Manneken-Pis existant.
Deux ans plus tard, des grenadiers français tentèrent de renouveler ce dangereux exploit. La population gronda si fort que le roi de France, Louis XV, lui-même, intervint dans l’affaire. On retrouva l’objet à la porte d’une taverne. Pour faire oublier l’événement, le souverain français offrit au petit Julien, un bel habit doré et la croix de Louis XIV, obligeant de cette manière les soldats français à le saluer militairement. Il n’en fallait pas moins pour calmer les esprits.
Au siècle suivant, dans la nuit du 4 au 5 octobre 1817, Antoine Licas, un forçat à peine gracié, enleva Manneken-Pis. Mauvaise idée ! la statuette fut retrouvée le long des remparts, entre les portes de Namur et de Louvain. Rapidement découvert, Licas fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. Enlever le petit Julien peut parfois coûter très cher. Le bronze avait été brisé. Reconstitué, il servit de modèle à la statuette actuelle, œuvre attribuée par certains à Godecharles, par d’autres à Capiaumont.
Mais notre gamin devait encore vivre bien d’autres aventures. Au vingtième siècle, il subira encore des tentatives de vol en 1955 et 1956. Kidnappé en 1963, 1965 et 1978. Mais il finit toujours par reprendre sa place, au grand soulagement des commerçants du coin.
Mais notre petit gars de Bruxelles n’exhibe pas toujours son anatomie complète au public. Parfois, il s’habille aussi. Le petit possède une collection très excentrique de vêtements de toutes époques et de tous pays. La garde-robe de Manneken-Pis contient plusieurs centaines de costumes provenant de dons variés. Toutes ses tenues sont exposées au musée communal.
Si le succès, jamais démenti, du petit Julien est international, c’est parce que, bien au-dessus des légendes, des anecdotes et de la truculence du « ketje », il est un symbole de liberté. Cette Liberté, si chère aux Bruxellois et aux autres peuples, rend la statuette universelle et explique son retentissement mondial.
«…
Les pays peuvent bouger
S’énerver se provoquer
Lui ne daigne pas changer
Même dans l’adversité
Il défend la liberté
Et le droit de s’exprimer
… »
Extrait de « Manneken-Pis » du moitié Bruxellois, Maurice Chevalier.
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