Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).


Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



mercredi 7 septembre 2011

Une rue paisible, un crime odieux


De nos jours, les gens qui, à Bruxelles, traversent la place de Brouckère, ignorent qu’à deux pas de là, la rue des Hirondelles, au début du siècle dernier, défraya la chronique judiciaire.  Cette rue paisible fut la scène d’un crime horrible. Aujourd’hui, bureaux et parkings ont remplacé les maisons anciennes.  Le n° 22, témoin de ce drame effrayant, a disparu en 1965.  Rien pourtant, ne prédestinait cette paisible rue du centre de la ville à une notoriété que personne n’aurait souhaité.

Cette triste affaire se produisit en Hiver.  Au dehors, il faisait déjà noir.  Les lueurs jaunâtres des hauts lampadaires au gaz éclairaient les artères de Bruxelles.  

La rue des Hirondelles (carte postale)

Ce 7 février 1906, une petite fille de huit ans, Jeanne Van Calck vient de quitter la demeure de ses grands-parents, quai aux Pierres de Taille au n° 2.  Il est 18h30 et elle se rend comme chaque jour chez sa maman qui habite au coin du boulevard Baudouin et de la chaussée d’Anvers.  Ce n’est pas loin.
La fillette y  passe une ou deux heures avant de retourner chez ses grands-parents chez lesquels elle vit.  C’est la première fois qu’elle y va seule.  Les Van Calck sont  des gens simples et courageux.  Pour pouvoir entretenir la famille, le grand-père travaille en journée dans une compagnie de tramways. Le soir, après un rapide repas en famille, il se rend dans un théâtre de la ville où il exerce la fonction de contrôleur.  Cette fois-ci, il n’a pu, comme de coutume, accompagner la fillette chez sa mère.  Jeanne lui avait dit  : «  Vous êtes en retard et maman pourrait s’inquiéter, j’irai toute seule ».  Jeanne connaît bien les rues qui conduisent de l’habitation de ses grands-parents à celle de sa maman.  De nombreuses fois, elle a fait la route en compagnie de son grand-père.  Ce soir, Il ne fait pas chaud. Comme toutes les petites filles de son âge. par-dessus sa petite robe à carreaux l’enfant porte un tablier blanc.  Pour se protéger du froid, Jeanne a enfilé  un caban de grosse laine bleu dont le col cache un peu sa belle chevelure blonde.  De solides bottines de cuir isolent ses pieds du sol glacé.  La fillette est ce qu’on appelle pudiquement une enfant naturelle.  Françoise Van Calck, sa mère a « fauté » avec un ouvrier typographe qui n’a pas reconnu l’enfant.

Ce même soir, vers minuit moins le quart, Joseph Eylenbosch, machiniste au théâtre de l’Alhambra et son fils empruntent la rue des Hirondelles.  Le spectacle fini, les dernières lumières de la scène éteintes, ils rentrent tous deux à la maison.  Pour rentrer, ils passent par cette rue paisible. C’est le chemin habituel pour rejoindre la rue de Laeken, où ils habitent.  Devant le n° 22, le regard des deux ouvriers s’arrête sur un paquet volumineux. Déposé sur le seuil de cet immeuble, le paquet est soigneusement ficelé.  Un large nœud en forme de poignée avait facilité son transport.  Intrigué par cet étrange colis, le machiniste envoie son fils chercher un agent de police.  Peu après, Pierre Noël, un figurant de l’Alhambra rejoint Joseph devant l’immeuble.  Puis, accompagné du fils de Joseph, l’agent 506, Gustave Van Damme ne tarde pas, lui aussi, à arriver sur les lieux.  Sans beaucoup de conviction, il tâte le colis, c’est du mou.  L’agent décide de faire porter le colis au commissariat de police de la troisième division, place du nouveau Marché aux Grains.  Et comme l’agent n’a pas envie de le porter lui-même, c’est Noël, le figurant de l’Alhambra, qui le portera.  Il recevra ainsi la prime promise à toute personne qui rapporte au commissariat de police tout colis suspect trouvé dans un lieu public. 

Un quart d’heure plus tard, toute la compagnie s’engouffre dans le poste de police.  Les policiers de garde sont réveillés par ce tapage.  Le chef de service Desmedt  inspecte l’étrange paquet.  Il demande à Noël de l’ouvrir.  Celui-ci coupe les cordes puis déchire le papier brun qui l’enveloppe.  Il dégage un caban bleu, une robe à carreaux et une étoffe blanche qui semble être un tablier.  Les policiers, le regard indifférent, pensent à un sac rempli de vieux vêtements sales.  Mais Noël trouve ce paquet bien trop lourd pour n’être que simplement rempli de chiffons.  Entièrement libéré de ses cordes et de son emballage de papier, le paquet brusquement, dévoile une vision d’horreur.  Le cadavre encore chaud d’une fillette tombe sur le plancher du commissariat.  L’enfant a la tête recouverte par le pantalon qui lui a été retiré.  Ce vêtement soulevé, révèle sous des paupières mi-closes deux yeux bleus et une bouche encore sanguinolente. 
Mais, ils ne sont pas encore au bout de leurs surprises.  Le pire est encore à venir.  Les murs du poste de police résonnent du cri d’effroi qui jaillit lorsque le colis montre tout son terrible contenu.  La fillette a été amputée des deux jambes.   

Branle-bas général, on réveille le commissaire, celui-ci, mis au courant,  prévient le parquet et la presse.

Le commissariat est encore tout bouleversé par l’horrible découverte lorsque, deux hommes poussent la porte.  Ils viennent, disent-ils, signaler la disparition d’une fillette âgée de huit ans.  Ils sont sans nouvelle de l’enfant depuis 19h.  Elle est blonde, elle est vêtue d’une robe à carreaux, d’un tablier blanc et porte un caban bleu.  Le signalement correspond, malheureusement au cadavre du paquet.  A présent la petite victime porte un nom : Jeanne Van Calck. 

Prévenus par la police, les quotidiens sortent des éditions spéciales.  La foule se précipite sur les journaux dont les caractères ne sont pas encore secs.  A la lecture du récit macabre et devant l’horreur du crime, la colère gronde. 
Dès le matin, une foule nombreuse se rassemble devant le n° 22 de la rue des Hirondelles.  Françoise Van Calck, apprenant le destin tragique de sa fille, s’évanouit dans la rue.

Qu’est-il arrivé entre 18h 30 et 23h 45, ce 7 février  ?

L’enquête commença immédiatement.  L’autopsie révéla que la fillette n’avait pas été tuée.  Elle avait succombé à un étouffement engendré par les matières provenant de vomissements violents.  Vomissements provoqués par une forte consommation d’alcool à 50°.  Elle tomba exactement ivre-morte après avoir été violée.  Elle n’endura pas de réelle agonie.  Le médecin légiste ne releva aucune trace de violence ou de brutalité sur le corps.  L’heure de la mort fut située entre 20 et 21heures. 

A l’aide d’un chien, des recherches furent entreprises.  Elles ne donnèrent aucun résultat.  La police recueillit quelques témoignages concernant la dernière apparition de la petite en rue et le dépôt du paquet.  Il apparaît, aujourd’hui, malheureusement que les policiers ne se sont pas préoccupés d’exploiter complètement toutes les indications qui leur ont été fournies.  Ainsi, la déclaration faite par une petite amie de Jeanne, qui affirmait l’avoir rencontré peu après 19 heures, devant l’habitation de ses grands-parents, prenant la direction opposée à celle qu’elle devait prendre pour retrouver sa maman.  Jeanne se trouvait accompagnée d’un « monsieur » en qui elle semblait avoir confiance.  D’autres compagnes de jeu auraient également aperçu la même scène.  Mais la police n’attacha que peu d’importance aux témoignages des enfants.

Les funérailles de l’enfant martyr furent imposantes.  Elles eurent lieu le 11 février, dix mille personnes y assistèrent.  Le Bourgmestre De Mot présida à la levée du corps à la morgue de l’hôpital Saint-Pierre.  La police forma une haie d’honneur et la foule maudit le responsable de ce crime atroce. 

Pendant ce temps, l’enquête se poursuivait.  On recherchait toujours les membres inférieurs de la petite victime.  Sans succès, la police sonda le canal.


Les deux paquets retrouvés par le jardinier Buelens

Le 16 février, dans le parc de l’ancienne ferme royale de Stuyvenberg, le jardinier Buelens découvrit deux paquets de 40 cm environ.  Ils contenaient les jambes de la fillette, jusqu’alors introuvables.  La veille, les bottines de la petite victime avaient été recueillies à une centaine de mètres de là. 


Mal dirigée, mal orientée, l’enquête piétinait. Pourtant, le juge Hennaux se démenait pour trouver le criminel.  Le pauvre homme fit ce qu’il pouvait, c’est-à-dire pas grand-chose.  Les gens firent leur propre enquête, un avocat de Paris, Louis Frank releva vingt-neuf fautes des policiers et publia un livre sur l’affaire «  le crime de la rue des Hirondelles ».  Si les gens recherchaient le coupable, ils avaient aussi peur.  Peur pour leurs enfants, à qui ils interdirent, désormais, de sortir seuls. 

Aucune nouvelle information ni aucune nouvelle preuve ne firent avancer l’enquête.  La presse fulmina et se déchaîna.  Les journaux accusèrent.  Ils regorgèrent de critiques sur l’incurie de l’instruction et sur l’incompétence de la police.  Dans les colonnes du quotidien « le Soir » on lisait ceci :

«  Le Belge n’a aucune des qualités requises pour faire un bon policier, il n’y a que la France et l’Angleterre pour produire de fin limier…Le seul moyen d’améliorer notre police judiciaire est d’engager des policiers français et britanniques »

Malgré de nombreuses arrestations, la justice ne réussit pas à éclaircir cette affaire, elle ne trouva jamais le coupable. 

la levée du corps de Jeanne


L’opinion publique avait été tellement émue par le sort réservé à la petite Jeanne Van Calck, que le journal « le Soir » ouvrit une souscription qui permit l’érection au cimetière de Bruxelles, d’un monument en marbre blanc, commémoratif de cette tragédie. 

Aurait-on pu arrêter celui qui s’est rendu coupable d’un crime si odieux ?

Il semble certain que Jeanne avait assez de confiance dans le criminel.  Il a pu l’entraîner chez lui sans employer de violence. 

Celui-ci ne passait pas habituellement dans les environs du domicile de la victime, sinon il aurait pu être connu ou reconnu par ses amies.

En examinant le plan des lieux, on constate que la distance qui sépare le quai aux Pierres de Taille de la rue des Hirondelles n’est pas très grande. 
L’assassin n’a donc pas entraîné sa victime bien loin.  Après le découpage de la malheureuse, il n’a certainement pas, la nuit, transporté le cadavre en un lieu très éloigné de la scène du crime. Il risquait, à tout moment, de rencontrer des passants ou des agents de police.  Les agents étaient à l’époque assez nombreux et, toujours attentifs aux transports nocturnes de valises ou colis pouvant contenir des objets volés ou du matériel de cambriolage.

Une perquisition dans tous les immeubles situés dans un rayon compris entre le n° 22 de la rue des Hirondelles et l’extrémité du n° 2 du quai aux Pierres de taille, et un interrogatoire des habitants, auraient pu fournir des indices susceptibles d’identifier l’assassin.  Pour d’éviter toute déformation des témoignages et la disparition des preuves matériels, il eût fallu qu’à partir du moment de la découverte du cadavre ces recherches soient menées rapidement.  L’enquête fut effectivement entamée en ce sens, mais elle ne fut pas poursuivie.  Un témoignage provoqua la concentration des recherches sur une entremetteuse, considérée comme une pourvoyeuse d’enfants, qui ne fut, par ailleurs, jamais arrêtée.

Ne pouvant conserver le cadavre à l’endroit du crime, le tueur a été forcé de découper le corps pour permettre son transport. 

Si la dispersion des restes de Jeanne, fut fait en deux temps c’est que probablement le ravisseur a été dérangé ou a pris peur au moment où il s’est débarrassé du tronc rue des Hirondelles.  Constatant, quelques jours plus tard,  que les recherches ne s’orientaient pas vers lui, il a jeté les autres paquets, beaucoup moins encombrants, dans un endroit désert de Laeken.

Comment la petite Jeanne a pu ingurgiter une dose relativement importante d’alcool à 50°, sans y être brutalement forcée ?  La « goutte » était fort répandue dans les milieux ouvriers d’avant 1914.  Dans le peuple, pour fortifier le nourrisson, on  ajoutait souvent dans son biberon une goutte ou deux de « blanc ».  Il n’était donc pas rare que des enfants de huit ans soient déjà alcooliques.  Mais, seule une personne connaissant Jeanne a pu lui imposer , sans résistance, d’avaler de l’alcool.

En conclusion, cette triste affaire se résume à un détournement d’une petite fille par un individu qui lui inspirait confiance et, qui l’amena dans un endroit qu’il occupait seul, où elle fut enivrée et violée, avant de décéder malencontreusement.  La manière dont les restes de Jeanne ont été emballés, après avoir été convenablement lavés, semble révéler que le violeur n’a pas voulu supprimer ni salir l’objet obsessionnel de ses pulsions soigneusement inhibées jusqu’au soir du 7 février 1906.

L’année suivante à Anderlecht, une autre fillette, Annette Bellot, fut assassinée.  Elle avait six ans.  La justice ne trouva jamais son meurtrier.  Etait-ce le même ?







1 commentaire:

  1. Au cimmetière de Bruxelles, je me souviens de la tombe d'une petite fille découpée. Chose que ma mère me racontas lorsque nous allions fleurir la tombe de mes grands-parents.

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